Adrian Lyne nous ferait-il le coup de Terrence Malick ? Le coup du genre «Je disparais pendant vingt ans du paysage cinématographique, créant éventuellement un manque, suscitant une interrogation, entretenant un mystère, pour soudain revenir sur le devant de la scène sous vos yeux ébahis». De fait, ce retour inattendu et plus qu’improbable intriguait, et on voulait voir quand même de quoi il retournait. On n’avait donc plus de nouvelles de Lyne depuis Infidèle en 2002 ce qui, visiblement, n’avait inquiété personne. Il faut dire que Lyne, depuis L’échelle de Jacob en 1990 (son plus beau film, devenu culte aujourd’hui, et sa seule incursion dans le fantastique), enchaînait les nanars balourds pseudo sulfureux faisant passer ses anciens faits d’armes (9 semaines ½ et Liaison fatale) pour des chefs-d’œuvre (ce qu’ils sont, à leur manière).
Adapté d’un roman de Patricia Highsmith déjà porté à l’écran par Michel Deville en 1981 (avec Isabelle Huppert et Jean-Louis Trintignant), Eaux profondes aurait pu, avec son récit tordu d’un couple étrange se laissant submerger par ses diverses pulsions (madame ne cesse de collectionner les amants sous le regard de monsieur qui, d’abord un rien impassible, comme blasé de la chose, décide de ne plus laisser faire), réinventer, et même s’amuser, des codes du thriller érotique des années 80/90 (dont Lyne, mais pas que, a participé à l’émergence). Surtout avec Sam Levinson au scénario qui lui, avec Euphoria, a su dynamiter façon puzzle la série ado.
La rencontre entre deux personnalités aussi différentes, atypiques osera-t-on, étonnait donc autant que le comeback surprise de Lyne. Pourtant on n’en retiendra pas grand-chose, parce que pas grand-chose ne fonctionne. À commencer par la tension érotique et vénéneuse de l’intrigue que ni les dialogues ni la mise en scène ne parviennent à rendre palpable, suffocante un peu. Au contraire, ça bande mou ; ça n’ose rien, ça joue les prudes, ça ne s’approprie jamais (ou trop rarement) le trouble des situations et la sensualité des acteurs, celle d’Ana de Armas et de Jacob Elordi en particulier, et même celle, oui, de Ben Affleck, plutôt bien dans le rôle de ce mari lisse que la jalousie aiguise soudain, attise les noirs instincts.
Le scénario, emballant au départ, finit rapidement par n’être qu’une succession de séquences sans intérêt où la moindre ambiguïté (morale comme sexuelle) et le moindre ressort psychologique ne se résument plus qu’à des moues crispées, des sourires bêtes et des regards en coin. Quant au final, disons simplement que le mot «ridicule» semble avoir été inventé pour lui tant il en atteint les sommets. Le seul mérite finalement de ces Eaux profondes (mais particulièrement boueuses) aura été de nous donner envie de nous replonger dans Liaison fatale et L’échelle de Jacob, à cette époque (bénie ?) où Lyne savait faire montre d’un talent certain.
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