En général, les films sur l'école, bof bof. Et sur l'école américaine, encore pire. Les bons sentiments en dégoulinent de partout, quand ils ne sont pas complètement hors sol. De manière très prévisible, celui-ci commence dans ce qu'on appellerait ici une zone d'éducation prioritaire, gangrenée par la violence, la drogue, le ressentiment, la relégation, le racisme, le communautarisme et je m'arrête là pour avoir une chance d'être lue une ligne de plus. Fatalement, les ados qui ont poussé comme des mauvaises herbes dans ces conditions lamentables ne sont pas du genre fréquentable : ils crachent leurs phrases à la mitraillette, toisent froidement tous ceux qui leur adressent bêtement la parole et n'ont jamais lu le moindre livre de leur vie. De la racaille. On sent arriver la catastrophe quand débarque au milieu de toute cette petite société tendue comme un string la jeune prof idéaliste que ses vieux collègues vont adorer détester et dont on ne doute pas qu'elle va obtenir des résultats mirobolants par des méthodes non conventionnelles et le tissage de liens indéfectibles avec ses affreux jojos. Entre les murs nous a déjà fait le coup, entre autres. C'est pour ça que je parle de catastrophe : ça sent le parcours balisé, le prof anticonformiste contre la communauté éducative buttée, le miracle pédagogique à peu de frais, la pub à la limite du dol pour l'investissement personnel à mort dans un métier ingrat mais tellement gratifiant à la fois. Il faut être clair : on a le droit à tout ça, voire à pire. L'engagement mène la fée Sonnerie au divorce, des membres de gang meurent, des familles se déchirent, mais les jeunes sauvageons vont immanquablement se muer en auteurs à succès, sources inépuisables de réflexions profondes et sincères, propres à émouvoir les foules. Alors, pourquoi ça marche ? Je ne vais pas nier que j'ai conservé jusqu'au bout un certain agacement, en raison du traitement hollywoodien d'un sujet plutôt médiocrement sexy, dans la vie de tous les jours, mais j'ai été rattrapée par un frémissement d'idéalisme au moment où la Shoah a fait son apparition dans cette équation rebattue. La jeune femme qui a aidé Anne Franck déboule là au milieu, désormais presque centenaire, et emporte la mise : son regard est comme un glaive de justice, et cette rectitude morale fait mouche. Oui, en dépit du capital séduction de la jeune prof, de ses méthodes discutables, de ses succès téléphonés et de son mélange des genres plutôt douteux, ça fait rien, l'école peut faire des miracles, parce qu'elle relaie la parole d'auteurs et plus simplement de gens qui font honneur au genre humain. Je suis peut-être cacochyme et assez désabusée par le manque de soutien de ma nation à son système d'éducation public, laïque et gratuit, mais j'ai vu de mes yeux vu des métamorphoses se produire et des œuvres universelles avoir un impact prodigieux sur de jeunes âmes, et il ne faut pas grand-chose pour réveiller en moi la croisée de la connaissance qui n'attend qu'une occasion pour bondir hors de son carton à chapeau. Et ce film caricatural, souvent maladroit, mais porté par de jeunes comédiens remarquables, a malgré tout un côté réconfortant en ces temps de pénurie professorale, de trop rares vocations littéraires, et de négligence coupable de la part d'institutions obnubilées par leurs objectifs comptables. De temps en temps, ça peut faire du bien d'enfoncer une porte ouverte et de rappeler que derrière chaque emmerdeur, il y a quelqu'un qui souffre et mérite qu'on se penche sur son sort sans pour autant chouiner avec lui. Après, on vit quand même dans un pays où l’État continue à investir pour ses jeunes et dispense les enseignants de passer leurs nuits à bosser comme réceptionnistes pour ficeler des projets de voyages scolaires. Veillons à conserver cette spécificité et cessons donc de rêver à une importation massive des manies étasuniennes, toutes plus nocives les unes que les autres...

Créée

le 24 mars 2023

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