Ne prends pas tant racine...
Le parti pris d’Eden log est immédiatement d’imposer un ressenti très sensoriel de l’univers qu’il met en place essentiellement parce qu'il est évident qu'il n'a pas le budget de ses ambitions. On se réveille avec Clovis Cornillac dans une flaque de boue, gelé par le froid, qui cherche d’abord une source de lumière avant de poursuivre son exploration. Cette première partie, lente et particulièrement sombre (les ¾ de l’image sont du noir, quand on n’est pas carrément plongé dans les ténèbres), impose immédiatement un visuel en mode OFNI, dans une lignée Tetsuo (le métal étant ici remplacé par une plante prolifique, envahissante et de plus en plus hostile). Le film commence d’abord par proposer un accès à la citoyenneté en prenant soin de la plante en question. Un point de départ pour le moins intriguant, que Clovis ne va évidemment pas suivre (un cours de jardinage pendant une heure trente, ça ne passerait pas), puisqu’il va chercher à remonter à la surface (l’air est glacial et peu renouvelé ici bas) et surtout comprendre ce qui a pu se passer (il est complètement amnésique). Ses pérégrinations vont donc l’amener à fuir souvent les humanoïdes difformes, et à rencontrer une biologiste qui va révéler certaines des capacités de notre héros. C’est ce rapport constant entre homme et végétal (ici vu comme source d’énergie), cette ambiance boueuse et sale et cette musique particulière qui font d’Eden log une œuvre unique, une expérience sensorielle assez étrange, qui on s’en doute, n’a pas eu un gros succès.
L’approche est trop alambiquée pour convaincre le grand public (d’autant plus, on l’avoue, que la redondance des gros plans, l’usage de la caméra à l’épaule, l’absence de couleurs et l’omniprésence du noir pèsent parfois sur le spectateur, parfois lassé par la redondance des ambitions graphiques du film). Des tares souvent très reliées au maigre budget du film, démesurément ambitieux (il crée une société entière, et surtout un film de SF en progression constante où les décors utilisés ne sont jamais les mêmes). Mais il y a dans ce film un réel potentiel expérimental, une certaine esthétique (étrange, mais visible) et un propos cohérent (son univers, contrairement aux décors, évite les zones d'ombre et répond à toutes nos questions) qui font d’Eden log une authentique expérience de SF. Depuis ma découverte du manga Blame, peu d’univers avaient réussi à me dépayser (d'ailleurs, les tons de Blame et d'Eden log sont très proches, suivant avec mélancolie les avancées d'un anti héros errant dans les ruines d'un monde...), et Eden log fait partie de ces heureux élus, qui malgré leurs défauts évidents, ont réussi à proposer quelque chose de nouveau, et surtout, quelque chose de clair. Pas vraiment de masturbation artistique ou de théorie pompeuse, la trame du film est simple (au final, c’est facile à résumer) et fonctionnelle (le végétal ne fait que drainer dans sa sève ce qu’il pompe depuis ses racines) qui assurent quand même de l’honnêteté de la démarche. Malgré des décors parfois un peu cheap, Eden log parvient à remporter mon adhésion pour l’expérience sensorielle qu’il propose, et à impressionner pour la qualité du résultat final compte tenu des ambitions démesurées et un budget de 2,3 millions d'euros (pour un score de moins de 20 000 entrées en France...).