Hymne à l'amour

Piaf chantait l'amour, Lelouch l'a filmé

Descendu par la critique et les spectateurs à sa sortie, peu populaire chez les quelques rares cinéphiles qui se lancent encore de nos jours dans son visionnage, ce film méconnu de Claude Lelouch ne semble être défendu que par les plus grands fans du réalisateur. Et pourtant, moi ayant connu des hauts mais aussi beaucoup de bas avec lui, vais essayer de réhabiliter ce film au concept qui en a laissé plus d'un perplexe. Cela plus dans un but d'assouvir une envie d'écrire que de réellement convaincre qui que ce soit...

D'un point de vue technique, si l'on peut éventuellement critiquer le montage, on ne peut nier que Lelouch sait filmer et assurer une très belle photographie. La reconstitution des années 40 est également très chouette. On peut reprocher aux scènes de boxe de ne pas être aussi majestueuses que ce que à quoi nous ont habitué bon nombre de films mais ce n'est qu'un défaut mineur. Ce n'est certes pas Raging Bull mais la boxe n'est pas le sujet du film ; d'ailleurs plusieurs combats sont simplement vécus par le biais de la radio. Côté casting, on retrouve Evelyne Bouix dans le rôle de la grande Edith Piaf, mais aussi dans celui du sosie de la chanteuse. Pas de mimétisme à la Marion Cotillard (hormis dans la scène d'ouverte où elle apprend la mort de son « milord ») mais une vraie appropriation de son histoire. Pour ce film d'amour, Lelouch ne pouvait que choisir sa compagne de l'époque. Dans le rôle de son boxeur de mari, Marcel Cerdan, ce n'est pas comme il avait été prévu le regretté Patrick Dewaere mais carrément le fils de la légende aux mains d'argile, Marcel Cerdan Jr. (Dewaere ayant mis fin à ses jours quelques jours avant). S'il est de taille physiquement, il est évident qu'il n'est pas acteur et que Dewaere aurait porter le rôle à un autre niveau. Enfin, Jacques Villeret, toujours aussi attachant lorsqu'il est chez Lelouch, joue un soldat qui s'éprend du sosie de Piaf qu'il cherchera à séduire à l'aide d'un Cyrano interprété par Francis Huster. Le toujours impeccable Jean Bouise ou encore Charles Aznavour dans son propre rôle viennent compléter la distribution.

Ce qui peut désarçonner le spectateur qui s'attend à un simple biopic sur les Edith et Marcel du titre - et que moi moi je trouve géniale - c'est l'idée d'y avoir incorporé une histoire secondaire totalement fictive : celle d'une fan de la Môme Piaf (à qui elle ressemble trait pour trait) et d'un fan du bombardier marocain (au physique beaucoup moins avantageux que son idole). Ces deux personnages réunis par leur passion commune pour le couple de stars sont vraiment touchants et permettent de sortir du biopic académique (un peu comme le fera Madonna avec son film W.E. qui est bien plus que la biographie d'Edward VIII et de Wallis Simpson). C'est là que le fans de Lelouch seront avantagés puisqu'ils sont coutumiers du genre, le réalisateur aimant mêler les histoires au risque de pondre des films parfois foutraque (Toute une vie ; Les Uns et les Autres pour ne citer que ceux-là). Certains se plaignent aussi que le film ne rend pas hommage à la grandeur de ces deux monstres sacrés. On constate pourtant très bien à quel point leur histoire a réuni tous les français, notamment lors de l'annonce de la mort de Cerdan à la radio où toute la pièce tombe dans un profond silence. J'apprécie personnellement qu'ils soient aussi ramenés à leur petitesse d'êtres humains une fois descendus de la scène ou du ring. Cela rend leur histoire plus universelle, une histoire qui se partage et qui nous touche.

L'histoire secondaire vient appuyer l'universalité des paroles de Piaf, dans lesquelles chacun peut s'y retrouver. Le film transcende son sujet au lieu de se cloisonner à des faits historiques et rend au passage un hommage sincère à l'oeuvre de Piaf. J'aime les biopics qui réussissent à raconter la vie d'un artiste tout entrant parfaitement dans l'univers artistique de ce-dernier comme celui sur Pablo Neruda, quitte à être parodique (Le Redoutable).

En résumé, le film met parfaitement en images toutes ses paroles d'une beauté intemporelle. Et je suis même sûr qu'Edith Piaf elle-même aurait préféré cet hommage à son rival plus moderne, et bien reçu par les critiques.