Contient du spoiler, attention !
Qui est le meilleur Joker ? Jack Nicholson ? Heath Ledger ? Joaquin Phoenix ? Voilà une question bien difficile tant chaque incarnation fut très différente et d'une qualité indéniable. C'est vraiment un rôle en or pour un acteur prêt à y mettre ses tripes.
Quoi qui me parle de Jared Leto ?
Alors commençons par l'évidence, cette nouvelle itération du Joker est particulièrement marquée par une prestation de haut vol de Joaquin Phoenix. D'ailleurs il commence à les collectionner ce genre de prestations, il faudra faire quelque chose un jour pour le récompenser... On peut lui sculpter une statue ou quelque chose, nan ? Si (presque) toutes les versions du Joker m'ont marqué, c'est bien la première qui a éveillé en moi quelque chose d'autre que le rire ou la peur. Une émotion étrange, proche de la compassion. Et vu le monstre dont il s'agit c'est quand même assez dérangeant.
Ensuite, il serait juste de signaler la très belle photographie et la mise en scène de Todd Phillips. La ville est oppressante, le personnage est totalement perdu dans cette jungle urbaine, toujours sous la menace d'être écrasé par la ville. D'abord très sobre, la réalisation gagnera en folie et en poésie, sans perdre de son élégance, au fur et à mesure où le personnage évoluera. La première scène servant à iconiser le Joker, celle où il descend les escaliers en dansant sur le Rock & Roll Part II de Glary Glitter, alors que sa transformation vient de s'achever, nous montre bien une évolution flagrante par rapport au début du film. On se souviendra d'une scène au début où il manque de peu de se faire renverser par un taxi, symbole de cette ville de New-York, euh de Gotham pardon, que l'on pourra opposer à celle où plus tard il se fait réellement renverser par un taxi mais se relèvera sans aucun dommage car il est (ou s'imagine) alors dominateur de la ville.
Certes le film n'est pas forcément original sur sa manière d'opposer celui que l'on voit comme un monstre à une société malade montrée comme responsable de sa création. Mais c'est la première fois que le film prend le point de vue du monstre. Jamais le personnage n'avait été exploré aussi profondément. On nous montre la folie par les yeux d'un fou. En se plaçant dans la tête du personnage principal, le spectateur devient comme lui, incapable de savoir si ce qu'il voit est la réalité ou les fantasmes d'un sociopathe. S'il passe son temps à rire, c'est sûrement car la vie n'est qu'une comédie dont il sera (s'imaginera) en être la tête d'affiche. Il veut être le King of Comedy. C'est lui qui provoquera les "rires" et il ne sera plus victime de ses "rires" incontrôlables qui semblent tant le faire souffrir.
I used to think my life was a tragedy. But now I realize, it's a
comedy.
Ce qui est fascinant, c'est que chacun se fera son propre film en fonction de ce qu'il a choisit de croire ou non. Il y a un nombre incroyable de possibilités.
Est-il juste un homme meurtri qui se venge de ceux qui l'ont fait souffrir ? Peut-on le comprendre et le plaindre ou est-ce qu'il n'a fait que nous mentir ? Qui sont ses parents ? Devient-il réellement le prince du chaos tel qu'on le connaît ?
Revenons un instant sur les influences du film, celles du Nouvel Hollywood, on peut penser à Vol au-dessus d'un nid de coucou mais surtout à Martin Scorsese, un temps associé à la production du film. La structure du film et la chute du personnage est similaire à celle de Taxi Driver et la relation entre le Joker et le personnage de Robert de Niro est un clin d’œil assumé à celle que de Niro entretenait avec Jerry Lewis dans La Valse des pantins. Bien que très marqué par l'époque dans lequel il se déroule, le film n'en n'est pas moins une peinture très effrayante de notre époque actuelle, au point où certains angoissent à l'idée qu'il pourrait engendrer de véritables Jokers.
Certains ont aussi reproché au film d'être trop éloigné de l'univers de Batman ou que l'apparition de certains personnages pour rappeler dans quel univers l'on se trouvait sonnait forcée. J'y vois en fait plutôt des hommages (la preuve avec le traditionnel collier de perles qui se casse durant l'assassinat de Martha Wayne) et une envie de ramener Batman à ses origines, celles d'un New-York, euh d'un Gotham pardon, infesté de malfrats. Pas de trop plein de burlesque à la Burton, de surenchère d'action et de rebondissements à la Nolan et encore moins des extraterrestres à la Snyder. Ce Joker est davantage ancré dans la réalité, c'est ce qui selon moi le rend bien plus intéressant.
En bref, j'ai été très sensible à l'écriture du film et à cette vision du Joker qui est clairement ce qui se rapproche le plus de l'image que je me faisais de ce personnage : cette mystérieuse silhouette maigrichonne, presque irréelle, ce spectre imprévisible, manipulateur de la réalité. Le film est aussi fou que son anti-héros. Le film n'en fait jamais trop, ni dans l'humour, ni dans le misérabilisme, ni dans l'action, ni dans le trash. Il ne pose aucun jugement, ne donne aucune réponse. Chaque spectateur fera ce qu'il veut de ce spectacle. Ses scènes de danse, filmées au ralenti, ses jeux de lumières, sa bande son... me marqueront personnellement un long, très long moment.
Le film pourrait resté un superbe one-shot ou être relié au prochain The Batman, le choix d'un acteur aussi jeune que Robert Pattinson serait donc logique. Si le chevalier noir a le droit à un traitement aussi bon, j'ai vraiment hâte de le voir. Et si Todd Phillips pouvait aussi s'occuper d'Harley Quinn (<3), ça serait cool, on l'aurait notre "DC Cinematic Universe" bien dark...