Au base-ball, l’eephus est un lancer très spécifique, consistant à tromper le receveur en lui envoyant une balle lente. C’est un peu ce que fait le film in fine : adopter l’exact opposé de ce qu’on attend d’un film sur le base-ball et d’un film sur un groupe, aussi bien du point de vue héroïque que de la construction dramaturgique.


Car entre le film choral et le documentaire, Eephus ne choisit pas vraiment. Il veut les deux. Si bien que l’espiègle voix off qui survient lors des citations utilisées pour les transitions chapitrales n’est autre que celle de Frederick Wiseman. Tout un programme.


L’action du film se déroule le temps d’une journée. Un jour d’octobre, un jour d’automne. On suit le match de base-ball de deux équipes amateures, composées d’une vingtaine de joueurs, vieux et jeunes, à se retrouver sur le terrain de leur petite ville de la Nouvelle Angleterre.


Il y a celui qui se plaint de ses douleurs aux genoux, l’autre qui souffre de subir un régime alimentaire. Il y a celui qui est encouragé par sa femme et ses gamins, il y a l’autre qu’on viendra kidnapper au mitan pour assister au mariage de sa nièce.


Un vieux fan, dans son coin, écrit les actions et le score sur un calepin. Il finira par être embauché à l’arbitrage quand l’arbitre désigné préférera plier bagage à la nuit tombée. Il y a un vieil homme, qui semble venir au stade depuis la nuit des temps et qui s’en ira en plein match, tel un spectre, à la fois nonchalant et rassasié.


Tous ces personnages n’ont pas le même temps d’écran mais tous existent. Une belle galerie de portraits, drôles, pathétiques, émouvants. De superbes personnages qu’on voudrait d’ailleurs connaître davantage, qu’on ne veut pas quitter à la fin, un peu comme eux, ne veulent pas quitter leur terrain.


C’est un beau film mélancolique, aussi léger de façade, qu’il est grave dans le fond, sur le temps qui passe et l’Amérique des oubliés qui restent attachés à leurs rituels qui les rattachent à la vie.


C’est un film sur la fin d’un monde. Avalé par un autre. Car la motivation, pas si prétexte, c’est l’idée du dernier match sur ce terrain puisque celui-ci sera bientôt en chantier, rasé et transformé en école.


Le film comme le lieu se meurt peu à peu. L’ennui pour les joueurs devient bientôt le nôtre. C’est aussi un peu la limite du film, qui par ailleurs s’intéresse moins aux actions de base-ball qu’à ceux, la plupart du temps, qui attendent, observent, boivent des bières, ou ne font rien.


Il y a de très belles scènes, de jolies trouées à l’image de ce superbe homerun salué et célébré ou cette scène aussi poétique que burlesque de la balle frappée qui se retrouve engloutie par le ciel brumeux et crépusculaire.


En tout cas c’est un lieu magnifique que Carson Lund parvient à capter et à rendre aussi mourant que vivant. On sent qu’il les aime ces lieux, autant qu’il aime ses personnages et leur petite guerre d’égos et de vannes, bref la désuétude de ce monde. La photo est sublime. Plus beau film automnal depuis le Miséricorde, de Guiraudie.

JanosValuska
7
Écrit par

Créée

il y a 3 jours

Critique lue 5 fois

1 j'aime

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 5 fois

1

D'autres avis sur Eephus, le dernier tour de piste

Eephus, le dernier tour de piste
Sergent_Pepper
7

The Last Faith

L’un des défis posés au cinéphile consiste à lui soumettre des films où il ne se passe rien. Une sortie de route par rapport aux canons de la narration, une épreuve qui l’inviterait à prendre en...

le 25 janv. 2025

5 j'aime

Eephus, le dernier tour de piste
JanosValuska
7

Last day.

Au base-ball, l’eephus est un lancer très spécifique, consistant à tromper le receveur en lui envoyant une balle lente. C’est un peu ce que fait le film in fine : adopter l’exact opposé de ce qu’on...

il y a 3 jours

1 j'aime

Eephus, le dernier tour de piste
Mr_Purple
5

out of time

Dans la scène qui succède au générique, on voit les joueurs arriver sur le parking du terrain et se saluer avec une évidente familiarité. On les imagine volontiers ne se fréquentant qu’au moment de...

le 10 févr. 2025

1 j'aime

Du même critique

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

33 j'aime

5

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

33 j'aime

5

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

28 j'aime

8