Avant de commencer ma chronique je me dois de préciser que globalement j’apprécie le duo Délépine/Kervern, leurs films (j’en ai déjà critiqué certains ici), notamment « le grand soir » (mais par contre moyennement Saint Amour noté seulement 5/10), que j’aime leur humour, leur style, leur côté parfois outrancier, libertaire, piquant, social, presque « militant » mais j’affectionne tout particulièrement l’art qu’ils ont pour pointer du doigt certains aspects de notre société, sa déshumanisation croissante et la société de consommation qui vampirise tout et au final pollue nos vies, le fait d’appuyer où cela fait mal. Et que j’ai tendance à abonder dans leur sens.
Mais surtout avec eux on sait en général on l’on va et leurs films qu’ils soient plus ou moins réussis ont toujours les mêmes ingrédients et notamment cette petite touche foutraque qui est leur marque de fabrique (évidemment il faut au préalable rentrer dans leur « monde »).
Ici avec Effacer l’historique le duo a décidé de prendre quelques risques en délaissant leurs acteurs/actrices habituels (seul Poolevoorde est présent avec un petit rôle) en faisant appel à quelques « nouveaux » venus.
Le sujet du film est intéressant (davantage que pour I feel good leur film précédent) : notre rapport au numérique et aux nouvelles technologies, notre dépendance vis-à-vis d’eux (portable, réseaux sociaux, ordinateurs, informatisation, applications qui nous polluent, intelligence artificielle...).
Et même si le progrès peut parfois simplifier notre vie il peut aussi le pourrir très vite et Effacer l’historique sous couvert de farce montre comment le quotidien de trois personnes, pour des raisons qui ont toutes un point commun à savoir leur portable et plus généralement le numérique, bascule à en devenir impossible, leur vie étant aux mains de leur smartphone et d’internet, monde nébuleux s’il en est.
Parfois, mais c’est récurrent dans les films de nos « grolandais », il y a quelques passages à vides, quelques creux, des moments plus faibles, où le scénario devient un brin faiblard mais cela n’efface en rien le côté jouissif du film, quelques scènes très drôles, bien vues voire cocasses, sur les effets négatifs du tout numérique, mais aussi une pique au passage sur les services publics (poste, banque...) qui se dégradent jusqu’à devenir des coquilles vides.
Avec Délépinie/Kervern le délire n’est jamais bien loin.
Un univers de fous, déshumanisé (déjà Le grand soir le montrait parfaitement) où l’individu est broyé par un monde qui le dépasse et sur lequel il n’a plus prise (ou l’impression de ne plus avoir prise).
Une société où nous devenons - sans presque nous en rendre compte - esclaves de notre portable.
Et j’aime beaucoup le côté loufoque, absurde et surtout décalé des personnages et des situations, un humour grinçant, une vision très lucide sur notre société.
La référence clin d’oeil récurrente au rond-point où nos trois héros/héroïnes, anciens gilets jaunes, se sont rencontrés, est assez marrante.
Mais bizarrement le duo de metteurs en scène semble moins outrancier, presque assagi par rapport à certains autres films (bon j’ai compté trois scènes plus ou moins trash, pas plus…).
Et toujours ce côté « dilettante » qui est à la fois la faiblesse et la force de Délépine/Kervern, qui peut plaire ou déplaire, mais c’est vrai qu’on aimerait de temps en temps un peu plus de rigueur.
Malgré quelques faiblesses, une certaine superficialité, un scénario parfois léger, Effacer l’historique est un film plutôt sympa, tout à fait d’actualité et une bouffée d’air frais.
Pas un film inoubliable mais un film à voir comme une fable et qui a le mérite, sous un humour acerbe, de nous interroger sur notre mode de vie et notre façon de vivre.
6.5/10