Leur précédent film m'avait réconcilié avec leur cinéma que je trouvais de plus en plus sur la pente descendante en termes d'inventivité et de qualité. Effacer l'historique part, en apparence, de pas grand chose mais se révèle petit à petit une comédie majeure de l'année. Kervern et Délépine savent manier toutes sortes d'humour et faire en sorte qu'il fonctionne grâce notamment aux interprètes choisis avec soin. C'est le cas des trois acteurs principaux car les réalisateurs les utilisent dans leur registre comique habituel qui fait mouche : Blanche Gardin épouse son caractère irrévérencieux à tour de répliques savoureuses et parfois dévastatrices sur des sujets plus ou moins difficiles (vie privée, sextape, impôts, banque) ; Denis Podalydès a ce charme ravageur de la maladresse qui donne lieu à des quiproquos délicieux et des scènes insolites et cocasses ; Corinne Masiero manie l'absurde et le décalé avec brio avec son personnage un peu perché.
A travers ces trois personnages, les réalisateurs parlent des maux d'aujourd'hui et critiquent frontalement la société de consommation de manière hilarante et inédite. On est pris de fous rires quand Denis Podalydès est au téléphone avec une mystérieuse vendeuse, lorsque Corinne Masiero révèle les étapes de son addiction aux séries et son licenciement ou quand Blanche Gardin essaie de taper son mot de passe ou de s'allonger dans son lit. Effacer l'historique est un excellent film parce qu'il rend compte de l'absurdité de la société dans laquelle on vit aujourd'hui en suivant trois anciens gilets jaunes aux prises avec des montagnes de problèmes qui s'accumulent. Kervern et Délépine nous font suivre trois personnages pathétiques mais terriblement émouvants dont les aspirations sont légitimes. Les deux réalisateurs réussissent leur pari de ne pas nous faire rire de mais rire avec sur des sujets sensibles et communs à tout le monde. Ça parle de notre dépendance aux écrans et à Internet avec un recul et une ironie épatants : outre l'histoire des mots de passe cachés dans un frigo, les reventes sur Internet de produits usagés, les accumulations de dettes à contracter en ligne, le chantage, les GPS, la notation par étoiles, tout y passe avec réussite.
Les deux réalisateurs savent faire rebondir leur intrigue avec notamment cette rencontre avec Dieu au sommet d'une éolienne, scène fantasque et vouée à devenir culte, et ce rond point où les chemins se croisent et les plans se construisent. La guerre aux Gafas et leur utilisation excessive de nos données personnelles est le combat de tous et l'obstination des personnages est touchante même si démesurée. Si les personnages tombent dans le ridicule lors de situations incongrues, les deux auteurs s'en sortent pour les montrer soudés et charmants. La mise en scène n'est pas non plus en reste. Les réalisateurs ont opté pour un grain d'image lumineux et éthéré, utilisent le floutage quand il faut, s'amusent à faire des gros plans sur des moments insolites de la vie des héros. L'énergie des personnages imprègne leur mise en scène qui embrasse le caractère de conte du film : la caméra s'enjaille dès que l'aventure démarre, les plans aériens en plongée sont magnifiques. Je ne saurais dire si c'est le meilleur film des deux compères mais ils prouvent une nouvelle fois leur faculté à s'emparer de sujets terriblement contemporains et d'en rire de manière saine en dénonçant l'exploitation des hommes, l'abandon de certaines populations et l'oppression des nouvelles technologies sur nos modes de pensée.