Vous vous baladez en forêt à la recherche d’un petit film d’horreur décalé où se mêlent folk-horror et comédie noire ? Difficile ne de pas vous recommander de vous pencher sur « Egō », premier long-métrage de la réalisatrice finlandaise Hannah Bergholm, ne cachant pas son approche ouvertement abusive du comique et de l’horrifique, nous immergeant d’emblée dans une famille scandinave totalement caricaturale. Une mère droguée au réseaux sociaux passant ses journées à alimenter des vlogs titrés « My Perfect Life » (oui oui !), un père cocu, une ainée souffrant en silence de l’autorité et des intrusions de la matriarche (relation névrotique catalysant le film), et un cadet un peu débile qui ne se trompe jamais. Mais cet harmonieux ménage se verra perturbé par l’arrivée d’un œuf immense que l’ainée cachera dans sa chambre jusqu’à son éclosion…


Il y aurait plein de reproches assez faciles que l’on pourrait adresser à ce film (notamment le bon vieil achoppement des rebondissements prévisibles), ou plutôt à ce punk-horrifico-rigolard ; cependant, « Egō » dispose d’aspects que l’on ne peut qu’amplement saluer : il évite scrupuleusement les écueils du démonstratif et de la symbolique écrasante. De cet œuf, et de ce monstre qui en émerge, il nous est possible de flairer plusieurs pistes métaphoriques sans qu’une seule ne sous soit strictement imposée, comme nous pouvons nous retrouver libre de suivre ce récit grandguignolesque sans penser à rien tant c’est impayable. Nous pourrions y voir un pamphlet sur une société poussant les familles à sombrer dans l’individualisme ; une divagation sur la propagation de plus en plus rependue d’une intimité familiale masquée et dénuée de valeur à la face d’un public assoiffé ; une élucubration déplumée à propos de l’amour maternelle, s’imposant notamment dans un dernier quart d’heure autant grandiloquent que douteux.


Bref, c’est un film impossible à intellectualiser, à moins de vouloir s’infliger une masochiste réflexion sur les rapports familiaux, sur la monstruosité des réseaux sociaux, sur l’image que l’on se créé de soi-même. De ces thèmes, particulièrement actuels, le scénario de Ilja Rausti (déjà réalisateur de deux courts-métrages surfant sur la comédie-horrifique) couve tendrement les baisers factices et le bonheur de façade, procédant à un sympathique retournement des carapaces en jouant allégrement sur les peurs enfantines et maternelles déchirant le cocon familial et le thème de l’affirmation de soi. Ajoutez à cette intelligence le fait que « Egō » ne se prenne nullement au sérieux, ne nous bombarde pas de bruits d’horloge permanent pour nous rappeler que nous devrions être angoissés, ne se torpille pas dans des symboliques spécieuses pour nous rappeler que ses axes sont actuels et pertinemment traités. Bref : enfin, on est pénard ! Une proposition surprenante à défaut d’être vraiment atypique donc (on comprend directement où le récit souhaite nous emmener, son principal point faible), mais un film qui fait du bien, relativement convenu certes, mais moins maladroit, mon scolaire et plus libre que la plupart des grosses sorties horrifiques récentes, ici tournée en dérision dans un volatile manège de névrose familiale. Si l’on peut lui adresser de nombreux blâmes, « Egō » se targue de nous rappeler que l’on peut rire de tout, y compris du pire, et surtout d’obsessions contemporaines que l’on aurait tendance à trop prendre au sérieux. Prego.


https://bueespecieuse.wordpress.com/2022/02/09/ego-2022-la-bete-humaine/

JoggingCapybara
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2020 2

Créée

le 9 févr. 2022

Critique lue 502 fois

2 j'aime

JoggingCapybara

Écrit par

Critique lue 502 fois

2

D'autres avis sur Egō

Egō
RedArrow
6

Qui vole un œuf...

Après une malheureuse rencontre avec un volatile, une jeune fille ramène un œuf dans sa chambre pour s'en occuper. Ce dernier grossit dans des proportions inattendues et éclot en donnant naissance à...

le 4 mai 2022

9 j'aime

2

Egō
Ezhaac
9

The l'Egō Movie

Drôle, surprenant, joliment réalisé et parfaitement rythmé, Egō est une fable fantastique légèrement mâtinée d'horreur qui développe une profonde métapho-- Ok, je ne comprends rien aux métaphores,...

le 3 févr. 2022

6 j'aime

2

Egō
Fatpooper
4

Construire son image

Ennuyant.L'idée de base est bonne mais on sent que l'auteur n'a pas grand chose à proposer autour de ce concept. De plus l'auteur joue une mauvaise carte avec la finalité de cette évolution : rien ne...

le 31 mai 2022

5 j'aime

Du même critique

Il n'y aura plus de nuit
JoggingCapybara
8

Soleil noir

Autrefois particulièrement productif et jouissant d’une considérable aura auprès du public, le genre du film de guerre, hormis quelques rares éclats, donne désormais l’impression de s’être...

le 29 juin 2021

9 j'aime

Jeunesse (Le Printemps)
JoggingCapybara
8

S'en sortir sans sortir

Première partie d’une trilogie, « Jeunesse (Le Printemps) », fresque documentaire tournée entre 2014 et 2019 dans les cités dédiées à la confection textile de Zhili (à 150 kilomètres de Shanghai, au...

le 3 janv. 2024

8 j'aime

8

Séjour dans les monts Fuchun
JoggingCapybara
8

Nature des êtres

Il y a comme un paradoxe dans « Séjour dans les Monts Fuchun ». Les personnages, dans l’ensemble de leurs dialogues, parlent d’argent, d’une manière si exacerbée que cela en frôlerait presque...

le 10 janv. 2020

7 j'aime