À l'annonce d'un film "Breaking Bad", l'intégralité des fans de la série sur la planète a bien dû pousser un "POURQUOI ??" général et la question avait du sens. En effet, pourquoi diable toucher à ce qui est devenu un monument incontestable de l'histoire télévisuelle ? Pourquoi encourir le risque d'entâcher la série encore considérée dans toutes les têtes comme une référence, et ce même six ans après sa conclusion ? Pourquoi en plus poursuivre l'aventure par un one shot en forme d'épilogue cinématographique à la série-mère conclue assez magistralement alors que, pendant ce temps, son spin-off "Better Call Saul" fait des merveilles en ayant trouver sa propre dynamique tout en ne reniant jamais l'univers d'origine ? Alors, bien sûr, savoir Vince Gilligan avec l'équipe et les acteurs d'origine à la barre était une donnée qui assurait de fait un certain standing à ce film/suite tardif, peu de chances effectivement que ceux ayant participé à une des plus grandes séries du XXIème décident de se tirer une balle dans le pied en sabotant leur propre création pour des visées purement commerciales. Mais, au final, le doute subsistait et tous les pourquoi autour d'un tel projet ont fini par se fondre en une seule question : qu'est-ce que "El Camino" pouvait bien avoir de plus à raconter pour égaler la teneur de tous les événements l'ayant précédé ?
Eh bien, le destin de Jesse Pinkman, pardi ! On avait quitté l'éternel souffre-douleur des ambitions démesurées de son mentor Walter White une fois que ce dernier l'ait libéré de sa longue captivité traumatisante dans le gang familial de Todd (Jesse Plemons). Après avoir laissé leur repère jonché de cadavres de malfrats et dit adieu à son ancien professeur de chimie qui n'allait pas tarder à les rejoindre, Jesse s'enfuyait en hurlant à bord de la Camino du neveu de ses ravisseurs vers peut-être des jours meilleurs ou, du moins, sûrement plus bons que les derniers vécus...
En se situant, quelques instants après cette scène, "El Camino" révèle vite sa fonction de pur épilogue : afin d'espérer fuir et commencer une nouvelle vie, Jesse doit panser les plaies des conséquences des actes vécus dans la série et tout le film va s'articuler autour de ces regards jetés en arrière afin d'avancer.
Alors, déjà, de ce seul point de vue, est-ce que "El Camino" nous prouve une réelle pertinence à exister en tant que tel ? Ne nous voilons pas la face, la réponse est non, il n'y avait aucune nécessité de raconter cette histoire et, malgré toute la sympathie qu'il nous inspire, le film ne vit que dans l'ombre nostalgique de la série et même intrinsèquement d'ailleurs. Durant toute sa durée, "El Camino" va en fait donner l'impression de feuilleter les ultimes pages de l'immense livre qu'aurait été "Breaking Bad", on a beau savoir que rien ne pourra surpasser la force de ce que l'on a lu auparavant et que ces derniers mots ne sont nullement nécessaires pour changer notre sentiment sur cette lecture mais on s'y accroche agréablement, comme pour mieux prolonger les bonnes vibrations ressenties sur ce qui a précédé.
Et c'est d'ailleurs là que le film tape incontestablement fort : la mise en scène de Vince Gilligan véhiculant l'ambiance et le tempo uniques de la série, l'intelligence des dialogues, ses mimiques scénaristiques pour créer de la tension où des pics d'humour très noir explosent comme des pétards (le duel !!), les retrouvailles avec toute la faune de petits seconds rôles qui ont eu à un moment ou à un autre un rôle déterminant à jouer dans la mythologie "Breaking Bad" et, bien sûr, les petites apparitions surprises ou autres références qui vont avec... Tout concourt à nous faire retrouver les sensations procurées par la série et, mieux, nous donnent à nouveau d'y replonger pour les revivre. Cette mini-odyssée de Jesse vers un potentiel avenir plus lumineux nous rappelle à chaque recoin de scène ce pourquoi on a tant aimé "Breaking Bad" et les raisons pour lesquelles cet amour restera indéfectible. En elle-même, cette histoire n'avait peut-être pas lieu d'être, elle paraît toujours marcher par à-coups au regard du passé (avec pas mal de fan service à la clé) et ne pas être assez consistante pour atteindre ne serait-ce que les souvenirs du meilleur de la série mais elle ravive en nous et avec brio l'esprit de "Breaking Bad" pour le faire perdurer. N'est-ce pas là la définition même d'un bon épilogue à quelque chose de grand après tout ?