Tout mon royaume pour une machin'gun'
Sorti la même année que deux références majeures du genre dans lequel il s’inscrit (Le bon, la brute et le truand de Leone et Django de Corbucci), El Chuncho s’en démarque par son orientation plus politique, qui en fait un chef de file à part entière du Western Zapata. Profondément marqué par un sous-texte virulent dénonçant les intérêts financiers qui animent quelques opportunistes étrangers en terres mexicaines, Damiano Damiani parvient néanmoins à éviter portrait trop orienté et met, dans le même temps, un petit coup derrière la nuque de révolutionnaires mexicains dont l’intégrité sait également se faire très variable.
A l’occasion de la rencontre entre Chuncho, un meneur au sang chaud, bon vivant et grande gueule, dont le cœur est tiraillé entre profit et pulsions révolutionnaires, et un hitman américain, froid comme le givre, uniquement motivé par le pouvoir de l’argent, Damiano Damiani mène une petite critique des paradoxes qui font et défont les idéaux. Paradoxes souvent construit par une soif de pouvoir qui ne s’épanche généralement que par la voie de l’or. Sans avoir l’air de dérouler son acide propos, le cinéaste enchaîne alors les situations fortes en construisant dans le même temps la jolie relation, ambigüe mais sincère, qui se joue entre les deux hommes. L’intention est intelligente, le résultat, à la hauteur, se savoure avec gourmandise lors d’un final aussi définitif que magistral. La marque d’un film réussi dans son ensemble, parce qu’il est écrit avec finesse mais qu’il sait aussi ne pas se reposer uniquement sur ses denses thématiques.
Car Western Spaghetti oblige, l’humour se doit d’être de la partie, ce qui est le cas, à n’en pas douter. Il fallait bien, pour tempérer la fougue politique de Damiani, la ganache à la bonne humeur si communicative de Gian Maria Volonté. L’acteur bouffe l’écran comme jamais, il est de tous les plans, de toutes les punchlines saisissantes, de toutes les mimiques croustillantes. Sans jamais se ménager, qu’il faille se trainer dans la poussière, jouer les séducteurs blasés, porter à bras le corps cette révolution qui l’enrichit, il n’y a pas un moment où il n’est pas complètement investi, surfant sur la même longueur d'onde que Damiani qui le dirige de belle façon (Les deux hommes signeront ensemble quelques années plus tard l’excellent Confession d’un commissaire de police au procureur de la république que je conseille vivement).
Le reste du casting n’est pas en reste et parvient, le temps que le trublion Volonté reprenne son souffle, à sortir de son ombre pour faire vivre leurs personnages. Lou Castel est le parfait tueur au sang froid : le regard dur, la caboche qui fonctionne à cent à l’heure, le doigt sur lorsqu’il faut presser la gâchette, aucun doute, il est le gringo, intéressé par le pognon, qui ne fait cas d’aucune idéologie, et se permet de faire remarquer à ceux qui en ont une, les paradoxes de leurs affirmations : on sourit quand il fait remarquer à El Chuncho qu’il fournit les révolutionnaires en arme dans le seul but de s’enrichir. Ce dernier acquiesce d’ailleurs, l’air songeur. On notera aussi la présence incongrue de Klaus Kinski en illuminé religieux qui est peut être la seule âme intègre du film, avec ce chef révolutionnaire aux principes inflexibles, qui n’existe que dans les dialogues, à l’exception d’une très belle confrontation avec Volonté, forte de sens.
El Chuncho est un incontournable du western spaghetti, à n’en pas douter. Outre la puissance expressive de ses différents personnages, la maîtrise formelle de sa mise en scène et son ambiance musicale entêtante, il brille par les thématiques politiques qu’il développe. Un film intelligent qui sait néanmoins rester divertissant en diable, Damiani laissant ses acteurs exprimer tout leur potentiel comique. Une belle réussite, une aventure ambitieuse menée de main de maître par un réalisateur doué qui n’a pas la langue dans sa poche.
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