Kidnapping familial pour Pablo Trapero

Trois ans après Elefante Blanco, son précédent film, Pablo Trapero s’intéresse à un fait divers survenu en Argentine au début des années 1980. Une époque marquée par la fin de la dictature dans le pays et la transition lente vers la démocratie.


Arquimedes Puccio, ancien membre des services de renseignement se retrouva ainsi mis au placard. A l’aide de ses contacts encore présents, il parvient à organiser plusieurs kidnappings. Ses cibles : des membres de familles bourgeoises repérés à l’aide de son fils, Alejandro, évoluant au sein du prestigieux club de rugby, LE CASI, et star de l’équipe nationale « Los Pulmas ».


C’est donc le caractère ordinaire de cette famille qui rend cette affaire sordide aussi incroyable. Entre images d’archives et reproduction d’une Argentine en mutation, le réalisateur parvient à s’accaparer son sujet et à l’élever. N’ayant pas peur de nous révéler dès le début la finalité de cette histoire, Trapero développe intelligemment son film autour d’une relation. Car EL CLAN est avant tout l’histoire du poids d’un père terrifiant sur son fils dépassé par les événements et qui ne peut lui échapper.


Plus qu’une envie de raconter ce fait divers, Pablo Trapero cherche à nous y projeter. D’une part à en se focalisant sur le personnage d’Alejandro (très juste Peter Lanzani), pour qui l’empathie est forte. A la fois complice et acteur dans les enlèvements, il reste néanmoins attachant, par ses doutes, sa prise de conscience de la réalité et à la culpabilité qui en résulte. A cela se mêle évidemment son sentiment d’impuissance et un mal être lié au mensonge qui le ronge – impossible par exemple de dire la vérité à Monica (charmante Stefanía Koessl), sa petite amie.
D’autre part, il y a la réalisation de Trapero. Ce dernier maîtrise à la perfection chacun de ses choix de mise en scène, qui varient en fonction de la situation présentée. Ainsi, s’il propose un travail précis du cadre pour les scènes du quotidien, de l’ordinaire, il chamboule volontairement les choses dès lors qu’un enlèvement a lieu, passant à une série de courts plans-séquence captivants – ce qu’affectionne particulièrement le réalisateur. Avec sa caméra à l’épaule et en mouvement nous voilà à l’intérieur de la voiture des ravisseurs et nous vivons le calme avant la tempête.


Mais à ces éléments notables s’ajoute au sein d’EL CLAN une vision pour le moins intelligente du montage (visuel et sonore). Car le réalisateur ne passe pas simplement d’une scène à une autre pour faire avancer l’histoire, mais il fait de son montage l’un des acteurs principaux de son œuvre. Capable de faire ressentir des émotions paradoxales. C’est par exemple en montage alterné que Trapero va et vient d’une scène de torture à une scène de sexe, en juxtaposant les cris d’effroi aux cris de jouissances.
Un effet de contraste qui se poursuit via l’utilisation musicale. Car tandis que le cinéma s’évertue de plus en plus à étouffer l’image par des musiques sans réfléchir à leur intérêt, mais davantage par peur du silence, EL CLAN offre une bande sonore réussie, autant dans les choix des titres que dans leur utilisation. C’est avec Sunny Afternoon des Kinks (en ouverture et fermeture du film) qu’on se plonge entre joie et mélancolie. Avec Encuentro Con El diablo de Seru Giran (morceau argentin ouvertement pompé à Sweet Home Alabama de Lynyrd Skynyrd) une scène de violence se voit accompagnée par un esprit étrangement festif. Avec Tombstone Shadow de Creedence Clearwater Revival, les notes appuyées du solo de guitare se mélangent à la perfection avec le klaxon interminable d’une voiture. Et avec Just a Gigolo par David Lee Roth, pour accompagner l’enlèvement d’une femme mûre, le réalisateur se permet même une certaine ironie.


Évidemment la richesse cinématographique dont peut jouir EL CLAN ne serait rien sans la fascination qui découle de la relation complexe entre père et fils. Car si le reste de la famille (les sœurs, la mère) fait la sourde oreille à ce qui se trame dans le sous-sol de la maison, Alejandro n’est pas le seul à devoir vivre avec cette vérité. Guillermo, le plus jeune, en allant fuir à l’étranger, reproduit le schéma de Maquila, son frère aîné, parti depuis longtemps. L’horreur viscérale se porte dès lors autant sur les événements que sur la capacité d’Arquimedes à être nocif, culpabilisant et littéralement étouffant pour ses propres enfants. Allant plaquer Alejandro contre un miroir, apparaissant au spectateur à la fois de dos et de face, il se referme véritablement sur lui.
A la mise en scène de Trapero s’ajoute ainsi l’excellente interprétation de Guillermo Francella dont le calme apparent, la présence et le regard nous glacent à chaque instant. Étant un acteur comique populaire en Argentine, c’est l’image même de Francella que manipule Trapero. Bien sûr à force de chercher les propositions cinématographiques, le réalisateur en fait parfois un peu trop et de manière pas forcément subtile. Mais c’est justement cette volonté d’oser, de prendre des risques, qui fait d’EL CLAN une œuvre aussi passionnante et qu’on garde à l’esprit.


Critique de Pierre pour Le Blog du Cinéma

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le 9 févr. 2016

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