La balade sauvage
Au bord d’une plage jalonnée par les ombres et tapissée par un coucher de soleil, un groupe de personnes discute, rit de vive voix et s’amuse en promenant leur chien de course. Tout semble apaisé...
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Au bord d’une plage jalonnée par les ombres et tapissée par un coucher de soleil, un groupe de personnes discute, rit de vive voix et s’amuse en promenant leur chien de course. Tout semble apaisé malgré le décor grisâtre environnant. Sauf que les apparences s’avèreront trompeuses. Dès les premiers instants, El Club suintera les non-dits, une stupeur silencieuse : de cette atmosphère presque idolâtrée, la lumière prend le pas sur la pénombre et ramène ses personnages dans l’obscurité du cadre, comme si leurs corps devenaient insolubles. Il se cache quelque chose.
Au-delà de ce cadre, c’est le grain de l’image, la photographie du film qui brouille les pistes en montrant des visages à la limite de la caricature, de la déformation proche du grotesque, comme si l’on était en présence de fantômes. Par ce biais-là, Pablo Larrain dévoile la monstruosité qui se cache à travers ses regards vides. El Club prend à bout de bras un sujet extrêmement délicat : celui de l’église et sa rédemption quant à ses crimes sexuels. Mais le réalisateur chilien choisit de se consacrer non pas à la pédophilie des prêtres, c’est-à-dire l’acte en lui-même, mais décide de disséquer la pénitence de ces derniers, habitant alors dans une maison de « correction » spirituelle qui met sous son toit une geôlière et des prêtres hors du circuit.
Sauf que derrière cette façade qui ressemble vaguement à un petit coin de paradis pour criminels religieux, derrière une désinvolture calculée, Pablo Larrain ne passera pas par quatre chemins pour montrer l’incommensurable, l’hypocrisie d’une démarche religieuse manipulatrice, tellement le film se révélera cru dans ses propos et dans ses images, se rapprochant de ce fait du forceps cinématographique digne d’une Mickael Haneke.
El Club est un portrait accablant d'un ordre religieux qui exile ses éléments réfractaires et dangereux afin de passer sous silence leurs sauvageries, tout en ne faisant rien pour ses nombreuses victimes d'abus. Après le suicide de l’un des prêtres fraîchement arrivés, un représentant de l’Eglise fera irruption dans ce « monastère » vacancier pour élucider le drame et comprendre le mode de vie de cette famille vivant sur le dos de l’Eglise.
A travers ces entretiens qui se dérouleront entre les prêtres et cette figure ecclésiastique se prétendant de la « nouvelle église », Pablo Larrain s’insèrera presque lui-même dans le récit pour questionner au plus près les folies, exorciser les forces en présence, l’absence de remords et la conscience morbide des hôtes. Tout comme dans « Jackie », les plans rapprochés sont légions dans un métrage qui s’immisce de près aux visages, dans cette volonté de caresser les traits d’une humanité dans des esprits en friche.
Car au-delà de nous présenter le quotidien de ses damnés aux profils différents, qui se compose de prières et joyeuseté assez banale (course, balade, jeu avec le chien), Pablo Larrain met la religion dos au mur et face à ses responsabilités dans un récit qui n’oublie personne : la violence d’une certaine Eglise dite « ancienne » face à l’arrogance hypocrite et faussement belle de la « nouvelle », la compréhension même de la portée des actes tortionnaires, l’interrogation sur comment être un bon catholique, et le pardon face à un Dieu qui ne parle pas.
Alors que s’instaure un mélange de drame et de burlesque qui voit parfois le film passer au tragicomique, les victimes ont le droit aussi à la parole : et de ce point de vue-là, El Club frise la correctionnelle avec une volonté outrancière d’en découdre avec ses démons : propos injurieux, discours d’insanités et sexualisés avec description du moindre détail de viol, vocifération impudique, fist-fucking montré en plan fixe, El Club tombera dans la grossièreté grivoise pour certains, ou criera avec candeur la putréfaction d’un univers religieux pour d’autres.
Et malgré les quelques rires nerveux qu’amènent El Club, c’est une froideur naturaliste et radicale qui l’emporte : El Club respire le malaise, le pathétique, le désenchantement perpétuel, la noirceur la plus farouche, celle qui est enfouie et qui ne ressortira jamais, cette ambivalence entre ces gens fiers de représenter l’Eglise tout en ayant pour eux-mêmes un dégoût aveugle.
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le 6 mars 2017
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