Il est toujours intéressant dans un film de voir la place qu'occupent les écrans. Une mise en abyme pour parler de la distanciation qu'occasionne le cinéma entre le spectateur et le sujet présenté. Ici, Manuel est en plein dedans. Il regarde en début de film la personne qui causera sa perte à travers un écran, lui donnant l'occasion de se moquer (et comparant même cette personne à Dolph Lundgren), pour finalement mettre le réel à une distance suffisante afin de continuer à nourrir l'illusion de son mode de vie douteux.
Le film semble mettre ce réflexe de mise à distance de la réalité au niveau d'un instinct de survie. Ce dernier joue un rôle primordial, en atteste les nombreuses scènes où Manuel est pris au piège, acculé dans un coin et se doit de prendre des risques inconsidérés pour s'en sortir (ces scènes par ailleurs démontrent tout le talent de mise en scène du réalisateur, donnant une impression de réel tout en jouant sur la tension en manipulant l'information).
Le personnage de la journaliste se démarque : elle est la seule à être entièrement extérieure au monde dans lequel semble s'être piégé Manuel. Sa profession est également significative, le journaliste étant en poursuite perpétuelle de cette réalité que Manuel ne veut voir. Il apparaît par ailleurs que ce dernier a une relation particulière avec elle, comme un regret de ne pas avoir continué sa route avec elle plutôt que dans le monde d'une politique corrompue. Une preuve que si Manuel refuse de reconnaître la réalité de ses actes, il n'en est pas moins conscient.
On peut voir la dernière scène du film comme une tentative de sa part de réparer ce regret. Le long plan opposant Manuel et la journaliste, et entre les deux une caméra qui se ballade, va d'ailleurs en ce sens : briser la barrière de l'écran pour enfin arrêter cet instinct de survie qui consiste à voir l'autre comme un simple personnage dans un film, et commencer à reconnaître que si ce personnage occasionne une identification, c'est qu'il nous représente également. Les regards cam en fin de film, interrogeant le spectateur directement, sont d'une virulence qui ne peut laisser indifférent. En brisant cette même barrière de l'écran entre le spectateur et le film, le réalisateur nous demande d'arrêter de voir le protagoniste comme quelqu'un d'extérieur à la réalité afin de nous poser la question : n'avez-vous pas un peu de Manuel en vous ?