Nous voici ramenés une dizaine d’années dans le passé, au milieu d’un groupe d’amis liés par la politique, le milieu dans lequel ils se sont rencontrés, où ils ont une certaine influence et, aussi, réussi à gagner leur vie. Tous les indicateurs sont au vert, Manuel est en passe de gagner du galon, mais tout ne pouvait pas être aussi simple. Les petites combines qui ont pu aider à gagner de l’influence ne peuvent rester éternellement invisibles et vont, fatalement, rattraper Manuel et ses amis. Rapidement, le groupe d’amis, d’abord présenté dans une ambiance joyeuse et légère, se retrouve dans la tourmente, et dans une réalité bien moins fantasmée. C’est ainsi que, petit à petit, les obsessions vont prendre le dessus et faire radicalement changer le ton pris par El Reino.
Manuel a beau être le personnage principal du film, il est tout sauf un héros. Naturellement, le spectateur a tendance à vouloir prendre son parti, à le voir se sortir de cette situation. Mais ce n’est pas du tout une intention partagée par Rodrigo Sorogoyen dans El Reino, qui ne cesse de fragiliser Manuel, de dévoiler ses mauvais aspects et de le rendre toujours plus antipathique. Dépassé par les événements, prêt à tout pour protéger sa situation, il multiplie les travers et les faux-pas au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans cet engrenage destructeur. Manuel cristallise tous les maux d’une classe politique à laquelle on reproche de ne penser qu’à ses propres intérêts, et à laquelle on ne peut pas faire confiance. Une vision qui peut être répandue à l’influence du pouvoir sur les Hommes en général.
La cinématographie d’El Reino est soignée, avec de bonnes compositions et une capacité à retranscrire l’état d’esprit des personnages. Antonio de la Torre crève l’écran et monopolise l’attention, nous faisant également partager ses états d’âme et la panique progressive qui s’empare de lui. Une panique qui se manifeste notamment dans la seconde partie du film, qui prend des allures de thriller, pourvoyeur de stress et de malaise chez le spectateur qui saisit la gravité grandissante de la situation et, surtout, se rend compte que cela ne fait qu’empirer. Le film de Sorogoyen propose, à ce sujet, quelques coups d’éclat, notamment la course-poursuite nocturne, ou la scène de fouille dans une villa encore inachevée où se déroule une soirée. Celui qui nous avait été présenté comme un homme politique affirmé et charismatique devient un homme dépossédé et acculé, désespéré, prêt à tout, même au pire.
El Reino égratigne la classe politique espagnole, rongée par la corruption et les arrangements, prenant au fil de l’intrigue le chemin d’un thriller tortueux et asphyxiant. Le parti pris d’avoir pour personnage principal un personnage relativement antipathique est aussi intéressant et évite généralement au film d’être trop moralisateur ou manichéen. Même si, à ce sujet, le film aurait probablement pu s’arrêter un tout petit peu plus tôt. Sorogoyen questionne ici la faiblesse des Hommes face aux tentations du pouvoir avec une maîtrise certaine. Ce n’est pas toujours facile à suivre, notamment lorsque l’on n’est pas familier de la politique espagnole, mais le résultat globalement convaincant, avec quelques envolées qui rythment un récit mené tambour battant.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art