El Topo de Jodorowsky est un oasis au milieu du genre du western,un cas unique.
Dans le sens où l'on trouve rarement des films expérimentaux dans ce genre très codifié qui se contente souvent de raconter de simples histoires de héros chevaleresques/solitaires dans une quête de vengeance,d'amour ou de protection de quelque chose qui leur tient à cœur.
Bien que El Topo reste un western gardant certaines caractéristiques du genre,un héros solitaire qui voyage à cheval dans le désert,des bandits sales,des mecs qui se tordent de douleur pendant six ans après avoir reçu une balle avant d'enfin mourir il se détache assez vite du genre pour devenir une grande fresque d'absurdités du réalisateur.
Visuellement,le film est une pure merveille tant chaque plan est travaillé. Des plans qui profitent d'une géométrie impeccable mais surtout qui rappellent les peintures de Salvador Dalí,pionner du mouvement surréaliste qui avait l'habitude de créer en s'inspirant de ses rêves et de peindre ses absurdités dans un décor désertique afin de les mettre en avant et de déstabiliser encore plus son spectateur.
De la même manière que El Topo donc, tout dans ce film est fait pour déstabiliser le spectateur et le perdre. D'où l'aspect désagréable de certaines scènes: la musique et les bruitages sont souvent saturés, certaines scènes sont montées de façon complètement anarchique. Par exemple, il y'a une scène où El Topo tue quelqu'un, d'abord il s'approche de lui, la personne tombe dans un trou mais le plan coupe en plein milieu de sa chute, ensuite on a le plan d'une femme qui cache son visage dans ses mains suivit une image subliminale de l'homme tombé dans le trou suivit de ce dernier sur un cheval au galop en ralentit, puis le plan de deux hommes qui crient qui repasse cinq fois. Ensuite El Topo qui jette son pistolet après avoir tué l'homme dans le trou puis El Topo qui lui tire une balle dans la tête.
Sans parler de ce qui est simplement montré à l'écran,comme des scènes de sexes répugnantes, des humais au corps difformes, des animaux morts de façon brutal (ex: des chevaux éventrés dans la seconde scènes du film avec leurs tripes éparpillés au sol).
Le film a vraiment un ton très brutal et on ne sait jamais vraiment si ce qui est montré à l'écran est réel ou si c'est simplement les pensées des esprits tordus des personnages malades du film.
D'où cet aspect désagréable,certaines voix qui ne collent pas du tout au physique des personnages ni aux environnements dans lesquels ils évoluent et les nombreux faux-raccords du film tellement gros qu'on se demande si ils ne sont pas des intentions artistiques.
Cependant,loin d'être un simple foutoir vide de sens,Jodorowsky passe par de nombreux symboles pour dévoiler ses pensées.
El Topo,protagoniste qui donne son nom au film,est un héros solitaire typique du western: immoral,sale,corrompu,lubrique. Tout de noir vêtu,il est l'opposé de son fils dont la nudité représente la pureté,tout comme dans beaucoup de religions et de mythes.
El Topo est tellement mauvais qu'en visitant une ferme ravagée par des bandits et en rencontrant un survivant qui le supplie de le tuer,il délègue la lourde tache de l'achever à son fils car c'est un acte de bonté qui ne sera jamais récompensée.
Divisé en deux parties bien distinctes qui ont l'air déconnectées, le film se concentre donc d'abord sur la quête de plaisir charnels. El Topo abandonne son fils pour une femme qu'il vient à peine de rencontrer. Figure de Judas,cette femme exigera de lui, qu'il tue "les quatre maîtres du revolver", probablement la métaphore de la luxure d'El Topo qui exige que celui-ci détruise des choses importantes pour lui (ses proches, sa vie, son bien-être,...) Cette quête détruira complètement le personnage,preuve en est le faite qu'il panique totalement après que le dernier maître ait mit fin à ses jours.
Comme convenu,El Topo sera trahit et laissé pour mort après avoir reçu une balle de la femme pour laquelle il a pourtant tout abandonné. Des thématiques qu'on retrouvait déjà dans Médée.
Il est alors secouru par des hommes difformes et c'est là que débute la deuxième partie du film.
Loin d'êtres deux entités distinctes,elles sont en réalité deux facettes d'une même pièce, j'entends par-là que l'une ne pourrait pas exister sans l'autre.
El Topo renaît spirituellement et devient méconnaissable physiquement. Lui qui se prenait pour un dieu dans la première partie devra payer ses erreurs commises dans la première partie en aidant un groupe d'infirmes consanguins à s'échapper d'une grotte dans laquelle ils sont enfermés depuis des générations.
Pour creuser un trou,El Topo devra jouer le bouffon dans une ville corrompue,visiblement contrôlée par les illuminatis,habitée par des boudins qui se divertissent avec des combats sanglants et pendent un noir que des dindes accusent de viol alors que ce sont elles qui l'ont violés et où les prières et les récitations de l'évangile sont remplacés par des attardés qui beuglent en tapant des mains "Tu nous protège Seigneur" et en jouant à la roulette russe.
On a donc deux opposés extrêmes,d'un côté la grande ville corrompue où les gens vivent dans la débauche et ne travaillent plus,de l'autre la plèbe misérable oubliée de la première.
El Topo dans tout ça, a pour mission de réunir les deux peuples et de payer pour ses erreurs de la première partie et en affronter les conséquences (comme le faite de retrouver son fils). Comme un homme qui doit traverser le purgatoire et racheter les erreurs de sa vie pour accéder au paradis.
Mais en réunissant trop brutalement deux peuples radicalement opposés et en ayant été trop bon, la ville finit par tuer les infirmes (ce qui fait éco au début du film qui explique qu'une taupe creuse des galeries pour trouver le soleil et devient aveugle en le découvrant) qui sont à leur tour tués par El Topo. Le protagoniste met ensuite fin à ses jours, soit parce qu'il a accompli sa mission, soit parce qu'il a échoué, qu'il n'aura plus d'autre chance et qu'il est donc condamné à l'enfer (d'où le suicide par immolation).
El Topo est donc un film très riche qui exploite à merveilles les mythes judéos-chrétiens et de la Grece antique.
Il a quelques rares défauts qui sont écrasés sous ses innombrables qualités.