Support: Bluray
Un avantage non négligeable de se créer une filmothèque, c’est qu’à force de chiner dans les boutiques et de guetter les sorties, on finit inexorablement par tomber sur des petites pépites méconnues que même la fréquence de mes passages sur Senscritique ne m’avaient jusqu’alors pas mis en lumière. C’est donc avec un certain engouement que je me suis procuré Electra Glide in Blue, sorte de Fargo où le sable remplace la neige, mais où l’humour noir dresse de la même manière un portrait peu reluisant d’une Amérique éculée qui, livrée à elle-même, part dans directions inattendues.
Dès l’introduction en un montage de plans serrés qui fétichisent notre anti-héros et sa tenue de motard de la police, le ton est donné. Les grands airs que se donne l’officier John Wintergreen (Robert Blake) sont immédiatement tournés au ridicule par la scène suivante qui révèle sa stature lilliputienne. Dans une société isolée où la concurrence est absente, les egos se gonflent pour occuper l’espace, quand bien même la galerie de personnages n’est au final qu’un festival de branques. Mais des branques touchants, dont le melon se dégonfle au fur et à mesure que se déroule l’intrigue et que leur fragilité se dévoile. Les archétypes sont renvoyés au placard alors que la convergence des nouvelles mœurs de la révolution culturelle entamée dans les 60s commence à pointer le bout de son nez dans cet ancien monde du Sud bien ancré dans ses habitudes. On commence à douter de ce que représente l’ordre et la morale, tout en remettant en question les modèles que l’on figurait purs. “Loneliness can kill you deader than a .357 Magnum” nous dit-on, avant de nous le montrer dans une longue scène conclusive où le générique n’arrive pas. Alors on contemple et on relativise, tandis que chacun fait de son mieux pour suivre ses principes, quitte à reconnaître qu’ils sont initialement galvaudés.
Robert Blake n’a malheureusement pas eu la carrière qu’il mérite, tandis que le réalisateur James William Guercio signe ici son unique film, sa carrière étant musicale avant tout. Pourtant tous les ingrédients sont là pour un film culte. La caméra est maîtrisée, s’emparant de la Monument Valley de John Ford pour perdre ses personnages dans cet étrange hybride de polar, western et comédie. L’ambiance est à la fois funk et mélancolique, et Electra Glide in Blue reste en tête, comme un mirage nimbé de rouge et de bleu, de vie et de mort.