Immense poème visuel et auditif. On peut le regarder en coupant le son, en ne se concentrant que sur l'image, ses distorsions, les vapeurs enivrantes qui la recouvrent et les flocons qui tombent dans le cadre, les peintures de Van Gogh et de Brueghel qui se confondent au monde réel. On peut aussi fermer les yeux et n'écouter que les bruits qui s'invitent : le vent, les feuilles qui tourbillonnent, la pluie, les pas crissants sur la parquet d'un palais, la voix du cinéaste. Ou alors, on peut laisser l'image et laisser le son, et ainsi prendre la pleine mesure de ce que Sokourov a à nous offrir.
Il est question d'un voyage, vers nous-même, vers les autres. Il y a la traversée du titre, et l'abîme puissant des images. Sokourov est un sorcier, un magicien de l'image : il secoue les plans, perturbe la lumière, essaie des sons qui forment une matière mouvante et glissante. L'oeuvre est portée par ce départ vers l'inconnu, dont la voix inquiète cherche inlassablement les racines quitte à parfois oublier la beauté qui surgit de son étrangeté. Et pourtant, il trouve le temps, au milieu de ce flot d'images ensorceleuses, d'écouter ce garçon qui est venu l'aborder un soir dans un café. Dans cette traversée, l'artiste voit soudain l'autre s'inviter à sa table et lui offrir quelque clé - avant de voir surgir sa disparition dans la nuit. C'est ce qu'essaie de faire Sokourov : s'ouvrir vers l'imprévu (aux autres, à la neige, au vent), à ce qui ne se contrôle pas et ce qui est éphémère - ce qui finit toujours par filer dans l'obscurité. Les lumières de la ville, les voitures, le souvenir du voyage sur la toile immortelle du peintre. Tout éclate de sa beauté, fige son souvenir dans la toile d'un Van Gogh , et disparaît.