Earth, Wind & Fire
Pixar n'avait plus parlé d'amour dans ses films depuis Wall●E. Soit depuis une éternité. A l'époque, c'était tendre et touchant, cela faisait plein de bruits mignons et le final émouvant aurait...
le 18 juin 2023
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Pixar a besoin de redorer son image.
Si elle continue d'accumuler les succès sans grand effort, comme naturellement, il lui est parfois reproché de ne jamais pousser trop loin ses films et de se contenter du minimum. On peut en effet facilement souscrire à cette opinion, bien qu'il faille rappeler de quel minimum on parle : d'une animation visuellement les plus fascinantes, mais à laquelle nous nous sommes rapidement accoutumés. On demande donc dorénavant au studio de Disney de revenir à cet enchaînement de chefs d'œuvres qui caractérisait ses 15 premières années.
Cet Élémentaire, sorti un peu de nulle part (le "Pixar de l'année" comme tant d'autres), vient après le raté Buzz l'éclair (qui montrait que ressusciter le passé n'est jamais une bonne idée) et les confinés (car réservés à la plateforme Disney+, covid oblige) Soul, Luca et Alerte Rouge. L'enjeu est donc prioritaire : revenir sur grand écran avec panache et dessiner une histoire suffisamment universelle pour ramener le public en salle.
Force est de constater que le film souffre a priori de ses ressemblances esthétiques avec son remarqué aîné Vice Versa (qui ancrait définitivement le virage "adulte" du studio) et thématiques avec Zootopie, l'un des meilleurs films d'animation de ces dernières années et réalisé par... Disney.
Il a donc fallu sortir les rames côté communication pour tenter de distinguer Élémentaire dans le paysage surchargé des sorties estivales et tout public.
Si l'on voulait poursuivre la comparaison, Zootopie commencerait en fait là où Élémentaire finit ; le film de Peter Sohn (qui n'avait jusqu'alors signé que l'oubliable Arlo), bien dans l'air du temps (et wokiste à mort pourraient lui reprocher les plus obscurs), s'affronte en effet à l'origine migratoire de la nation américaine et plus précisément de la ville emblématique de ce pays cosmopolite : New-York. Les références à Ellis Island où s'effaçait en un coup de tampon toute une histoire, à la ghettoïsation de quartiers excentrés forcés d'être communautaires, l'abandon (énoncé à demi-mot) des services publics qui force les populations à agir par elles-mêmes et la dépossession du rôle des fonctionnaires d'État, gratte-papiers impuissants réduits à la délation d'infractions commises contre des lois impossibles à suivre.
Ces thèmes, ambitieux et potentiellement chargés, sont évidemment traités de biais et avec simplicité, plus évoqués (mais c'est déjà un vrai mérite pour un film destiné aux enfants) que réellement discutés.
Car en effet Élémentaire est probablement le Pixar le plus épuré jamais sorti par le studio ; celui avec le moins de péripéties, avec une intrigue minimaliste, dénudée et courte, réduite à son plus essentiel maillage d'émotions. Cette simplicité, qui tourne le dos à cette superposition de rebondissements et (quelle joie !) au modèle simpliste des personnages et intrigues secondaires (ici pas de petit animal mignon ou d'acolyte maladroit), des méchants et des menaces permanentes, est désarmante. Élémentaire se contente donc de proposer de superbes séquences qui n'ont pour elles que la gratuité de leur beauté et de creuser une réflexion sur l'amour (chimiquement impossible) qui lie ses deux personnages principaux. Si on a le sentiment que le film se cherche parfois, tourne un peu à vide en se remplissant inutilement (il y aurait presque un quart d'heure de trop), ce dénuement lui permet d'approfondir son sujet initial en abordant frontalement le racisme (celui ordinaire qui renvoie sans cesse aux origines comme celui systémique qui isole physiquement et renvoie les communautés les unes contre les autres), la lutte des classes (jamais on aura vu aussi clairement des personnages riches et bourgeois confrontés à l'arrivée d'une prolétaire étrangère, leurs bonnes intentions maladroites et leur capitaux culturels et sociaux - même si ce sont eux qui gagnent à la fin), voire le handicap (l'inadaptation des villes et des aménagements publics aux personnes qui en sont atteintes).
Hybride entre tradition indiennes (que soulignent les notes de la très belle bande originale de l'irremplaçable Thomas Newman, débarassé lui aussi de l'injonction du thème principal) et rituels nordiques (ce village volcanique d'origine, ces côtes de maille et cette langue qui rappelle l'Islandais), Flam (Ember en anglais - braise -) est pétrie des traditions d'antan mais bien forcée de s'adapter à une ville dont la frénésie et le multiculturalisme ne leur laissent pas de place.
Pixar, malgré ce contexte politico-social, revient ainsi, sans prendre trop de risques, à ces thèmes habituels ; comment parvenir à faire société non pas malgré mais avec nos différences ? comment grandir lorsque notre famille aux rituels si importants semble nous retenir ? comment les respecter tout en s'en extrayant nécessairement pour voler de ses propres ailes, suivre ses rêves et ne pas réitérer les mêmes erreurs que les anciens ?
Élémentaire ne brille donc pas par son originalité thématique, loin de là, et, même si le travail des textures est fantastique (il n'est ici question, concept oblige, que de ça), n'apporte techniquement rien de plus que les derniers films (que nous sommes devenus exigeants !).
Mais cette apparente paresse cache une surprenante richesse ; parce qu'il brosse un versant plus politique et semble adopter une narration plus apaisée et débarrassée de ses conventions, revenant à l'essentiel et la pureté de l'émotion, ce film semble dessiner un futur heureux en confiant officiellement les rênes à la jeunesse, la seule capable de regarder objectivement sa société et de faire bouger des sillons profonds en forçant les générations du dessus à ouvrir les yeux pour se rendre compte de l'évidence.
Et pour ça, chapeau bas.
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Créée
le 10 août 2023
Critique lue 68 fois
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