Eleni : La Terre qui pleure par zardoz6704
Je vais raconter l'histoire, même si ce film est bâti sur une série de visions. Sans les ellipses, ça perd beaucoup de son sel, mais bon.
1919, la dernière communauté grecque d'Odessa est chassée par les bolcheviks sur une bande de terre au bord d'un fleuve, près de Thessalonique. Spyros amène avec lui sa femme, son fils Alexis et une fillette trouvée, Ieleni. A 14 ans, Ieleni tombe enceinte d'Alexis. Spyros, devenu veuf, tente de cacher la grossesse en l'emmenant chez une parente. Pour cacher cette honte, Spyros se propose d'épouser la jeune fille. Mais le jour de son mariage, elle fuit en barque avec Alexis, et ils rejoignent une troupe de musiciens à Thessalonique. Spyros les cherche, en vain. Alexis, très doué à l'accordéon, est tenté de partir faire fortune aux Etats-Unis, mais renonce pour ne pas quitter sa femme. Tous deux côtoient pendant le front populaire le syndicat des musiciens, mais la fête tourne court avec la montée du fascisme grec des phalangistes. Alexis fuit aux Etats-Unis avant d'être arrêté, mais ne peut emmener sa femme et ses fils. La 2e guerre mondiale, puis la guerre civile font rage, Ieleni est arrêtée pour recel d'opposants. Elle ne sait pas ce que sont devenus ses enfants. Elle finit par apprendre qu'ils sont tous deux morts au front, chacun ayant été enrôlé par un des camps. Alexis, pour sa part, est mort en se battant à Okinawa. Le chagrin fait perdre la raison à Ieleni, ou peu s'en faut.
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Attention : Ce film assez long fera fuir les fans d'action, mais a priori ils n'auraient pas de raison de venir lire ceci, donc bon. Autre avertissement : "Ieleni" est une chronique, un peu comme "Heimat". Il présuppose donc un minimum de connaissance sur l'histoire grecque au XXe s.
Angelopoulos est un des seuls cinéastes qui me feraient presque pleurer tant ses plans-séquences sont élégants, tant son regard cherche à la fois la photogénie et la beauté, avec un travail sur la lumière et la couleur sans équivalent dans le cinéma européen. Cet homme est un peintre.
Et en voyant ces plans-séquences montrant le village de réfugié, avec de nombreux personnages, des charettes, etc..., j'ai d'ailleurs eu une épiphanie : mais bien sûr, Brueghel ! Je n'y avais pas pensé, et l'influence n'est pas certaine, mais il y a incontestablement de ça. Comme les cinéastes gagneraient à redécouvrir les qualités du plan large !
Les femmes, comme un choeur antique, ont parfois droit à leur hypotypose : elles décrivent une action qui vient de se passer. Art du bricolage, mais réalisé avec une telle élégance que j'adhère.
Plusieurs fois, de manière assez lyrique, un personnage ou une voix off crée le plan par la parole, comme si ses mots suscitaient ce qui se passe. Très poétique.
Alors oui, Angelopoulos n'apporte rien de nouveau par rapport à ses films précédents, et il abuse un peu des numéros musicaux. Mais regardez juste l'image de l'affiche : des gens en noir sur un radeau suivi par une flotille de barques à calicots noires. N'est-ce pas sublime ?
Parmi les visions que propose le film : un théâtre où dorment des artistes réfugiés. Un arbre, auquel sont pendus les carcasses de bêtes du père d'Ieleni. Tout un village envahi d'eau et évacué en barques qui ressemblent à des araigneés d'eau. Les musiciens du syndicat arrêtés par les phalangistes, que l'on revoit jouer à travers du linge blanc qui s'agite au vent,s s'alignent le long d'une plage, puis sont chassés par des coups de feu. Un tricot que l'on dévide en prenant une barque pour quitter la personne aimée.
On retrouve un des thèmes récurrents d'Angelopoulos : le lien entre la culture, notamment musicale, et le statut de réfugié.
Dieu que j'aime ce cinéaste !