Jonas a 16 ans, est en échec scolaire et sportif (il vient de manquer les sélections nationales de tennis). Pris en charge par Pierre, Didier et Nathalie, amis trentenaires de sa mère, Jonas décide de passer plusieurs examens de rattrapage en candidat libre. C’est surtout Pierre (Jonathan Zaccaï, étrange et perfide) qui va l’aider dans ses révisions d’histoire et de mathématiques. Les termes et les périmètres de cet apprentissage vont très rapidement se troubler puis imploser en rapports ambigus associant libre arbitre, éveil à la sexualité et dressage pervers qu’une société actuelle ne pourrait tolérer moralement.
On cite plusieurs fois Camus (liberté et révolte), mais il y a plutôt du Bataille (principes de transgression) dans cette exploration feutrée des rapprochements de toutes natures pouvant se créer au sein d’une certaine dépendance. On n’est pas loin, non plus, d’une affaire de possession, éventuellement de vampirisme, ni de l’initiation amorale (abus sexuel) et érotique (ici la fellation puis la sodomie) qui irriguait, par exemple, La philosophie dans le boudoir de Sade. Cette naissance des plaisirs, aux humiliations et aux vaines compréhensions d’un monde en défaite (parents absents, système éducatif inadapté) se développe avec une incroyable douceur, et presque une pudeur, Joachim Lafosse ne cédant jamais à l’évidence de corps nus ni à une quelconque forme de sensualité pouvant, éventuellement, satisfaire le spectateur. Les textes, les mots, en revanche, sont sans détour, crus et explicites ; c’est par eux que Lafosse élabore, érige le bel exercice comportemental d’une manipulation sournoise et inégale.
Il privilégie, de fait, les scènes de table, les repas à quatre (Jonas et les trois adultes) où tout se noue, se lie et s’amalgame par la parole, point fort de l’enseignement. Sous l’impulsion truquée de ses "mentors", Jonas avoue les déconvenues sexuelles qu’il a avec Delphine, sa petite amie, le trio s’en amusant beaucoup et profitant surtout de son désarroi, de sa logique de compétition (le tennis) et de performance (l’école, Delphine). Pierre, Didier et Nathalie nourrissent cette pensée (cet idéal ?) que la liberté totale, et la jouissance qu’elle peut apporter, vont mener Jonas vers un possible accomplissement (mais de quel ordre ?) et qu’il faut pouvoir lui transmettre cette pensée au risque même d’une autorité, d’une responsabilité dérapant dans ses principes et ses façons d’agir. Les scènes "choc" (où ce qui a été dit est directement mis en pratique) arrivent alors sans prévenir et décontenancent beaucoup par leur audace, par la puissance du hors-champ qu’elles affectionnent.
Élève libre est une œuvre complexe et cérébrale qui tend à s’ouvrir, à s’exposer à de multiples interrogations, nuances et autres zones d’ombre. Ainsi, ce qui semble établit dès le départ comme une sorte de permutation de règles et d’influence (d’emprise ?) est peu à peu remise en jeu(x) et en question(s). Dans quelle mesure Jonas est-il conscient ou non des implications physiques et psychologiques qui se trament, qui se décident autour de lui ? Le trio infernal (et Pierre en particulier), dont on ne sait pratiquement rien, a-t-il à ce point besoin de l’Autre pour exister, sévir et s’imposer ? Et si la mécanique subversive de ces "libertins", pour qui les frontières entre amour et fidélité, sexualité et genres (homo/hétéro) paraissent ne pas exister, en tout cas ne pas constituer une difficulté ou une entrave, ne servait qu’à camoufler leur fragilité, leurs sentiments et leurs propres faillites ?
Lafosse sous-entend également qu’à vouloir s’affranchir ainsi des et de ses limites (le film y est dédié), on perd, on laisse ce qui fait notre sociabilité, construit notre personnalité et notre intime maturité : l’envie, le manque, la frustration et le fantasme à l’état (in)conscient, et non pas assouvis, réalisés, rendus à une triste matérialité sans plus rien à vivre ou à vouloir désirer. Ce sont là les enjeux secrets et la force entière d’Élève libre, celle de remettre en cause notre perception du savoir, du lien social, et d’intriguer le spectateur par sa capacité à aller très loin dans le malaise ; "Où il n'y a point de loi établie, ni de préceptes donnés, on ne saurait accuser personne de transgression" (François de La Mothe Le Vayer).