Désir meurtrier
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Verhoven sort Elle 10 ans après son dernier film Black Book. Il l'a réalisé en France pour être plus libre qu'il ne pouvait l'être aux USA et parce qu'il ne trouvait aucune actrice acceptant d'interpréter le rôle de Michèle. Isabelle Huppert de son côté rêvait de jouer ce rôle!
Elle s’ouvre sur l’image choc d’un viol très violent qui a lieu dans la propriété privée de Michèle, la victime. Le chat de la maison observe placidement la scène. Le chat a attrapé la souris. Mais qui est le chat et qui est la souris ? On s’aperçoit très vite que cette femme, suite à ce viol, ne se comporte pas en victime… Elle reste songeuse un instant puis remet la pièce en état avant de prendre un bain. Et elle continue à « fonctionner » normalement. On apprend rapidement à la connaître. Cette femme contrôle tout autour d’elle. Ses relations sont complexes et dénuées d'affectivité.
Elle est chef d’une entreprise de jeux vidéos. Ses salariés l’exècrent, à l’exception de l’un d’eux qui fantasme à son sujet ; elle est séparée de son mari mais garde des relations avec lui et le contrôle ; son amant est le mari de sa meilleure amie et elle n’a aucun attachement envers lui. Ses relations avec sa famille ne comportent aucun affect : que ce soit avec son fils, un jeune loser qui se laisse mener par le bout du nez par sa copine ; sa mère qui flirte avec des garçons qui ont 50 ans de moins qu’elle, son père : un psychopathe en prison, un tueur en série auquel elle a été associée par les médias grâce à une photo manipulée, et qu’elle n’a plus revu depuis 40 ans,
Le violeur devient une nouvelle relation qui s’ajoute à ses autres relations. Il reste présent dans sa vie à travers des messages envoyés sur son portable et des intrusions dans sa maison. Elle parle du viol comme d’un banal événement, refuse de voir la police dont elle n’a que de mauvais souvenirs et préfère mener elle-même son enquête. Elle instaure avec son violeur une relation au travers laquelle elle cherchera une fois de plus à prendre le contrôle, se mettant en danger. Relation très ambiguë qui laisse mal à l’aise. Son personnage restera un mystère jusqu’à la fin. Qui se cache derrière ce visage, derrière cette personne qui fait tout plier autour d’elle et que rien ne semble atteindre ? Une femme profondément blessée sans aucun doute par son passé traumatisant, mais une femme qui a pris le dessus à sa manière. Une femme à laquelle le spectateur n’a pas accès, comme finalement aucun de ceux de son entourage. On retrouve bien là, la marque caractéristique des films de Verhoeven qui ne vise pas à nous placer dans la sécurité mais qui soulève des questions sans y répondre. Chacun est libre d’apporter sa propre réponse, de bâtir sa conception du film, sa compréhension des personnages. C’est là le génie de Verhoeven !
Le dénouement de sa relation avec le violeur est très intéressant. Pour ma part, je m’attendais à autre chose et sûrement pas à ça ! Comme d’habitude, on est dérouté. Mais en y réfléchissant, c’est pas mal trouvé car finalement cette femme forte et complètement indépendante reste une personne qui a besoin des autres qu’elle le veuille ou non. Cependant fidèle à elle-même, ce dénouement ne semble pas l’affecter plus que ça, elle continue sa route comme elle l’a toujours fait.
Autre élément intéressant du dénouement : le court dialogue que Michèle a avec Rebecca. Cette femme, catholique pratiquante fervente, est une figure ici de l’institution catholique sous l’un de ses aspects : celui du silence. Elle se tait, alors qu’elle sait. C’est amené sans lourdeur, mais c’est dit et bien dit.
Verhoeven signe là encore un très beau film, assez perturbant et déroutant. Lui qui est né peu avant la seconde guerre mondiale et qui a connu la période si particulière de la libération a été marqué pour la vie par l’ambiguïté. On découvrait à cette époque que des gens très bien avaient été nazis, que des résistants avaient trahi, etc. C’est cette expérience existentielle très forte de Verhoeven qui marque ses personnages. Il ne cherche pas à lever l’ambiguïté car elle fait partie de la vie. Dans ce film, cette ambiguïté est particulièrement présente.
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Créée
le 21 mars 2022
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