Une histoire de soumission masculine

Passée sa scène initiale choquante et un bain qui semble d'eau stagnante où une fleur de sang se dessine, devant Elle, on se dit dans un premier temps que Paulo a fait le deuil des aspects les plus distinctifs et visibles de son cinéma. En effet, ici, pas d'effets clinquants, encore moins de violence outrée, de rires ouvertement sardoniques. Pire, l'érotisme et le sulfureux tel qu'on pouvait le voir dans Basic Instinct ou Showgirls est aux abonnés absents.


Cette saleté de France aurait-elle castré de manière sournoise notre Hollandais violent ? Aurait-elle étranglé sa vision si singulière ? Loin de se soumettre, Verhoeven s'insinue et investit sous couvert d'un aspect que l'on pourrait qualifier de modeste. S'il abandonne peut être le temps d'un film ses effets les plus voyants, c'est que ce qu'il veut faire ne s'y prête pas, tout simplement. Mais loin d'abandonner sa manière de voir le monde, Paulo, au contraire, l'affirme. Dans une mise en scène millimétrée, ou chaque plan est exécuté au cordeau, dans un travail minutieux et d'une remarquable qualité.


Il troque ainsi ses éclats de rire sonores de Starship Troopers contre une véritable vision de la société identique à une farce. Il échange ses démonstrations de violence physique pour verser dans la violence psychologique et la soumission. Le sexe, lui, autrefois bigarré et ardent, devient d'une tristesse absolue et d'une froideur qui dérange. A l'identique de son personnage principal. Au point que Elle abandonne progressivement le thriller qu'il promettait au profit d'un portrait de femme qui témoigne d'un cynisme de tous les instants et d'un vide absolu.


Ce vide fascine pourtant d'un bout à l'autre de la projection, tant le portrait que Paulo exécute tient de la toile de maître. Mais si Verhoeven la nourrit sans cesse, c'est aussi Isabelle Huppert qui lui donne tout son magnétisme et ses allures frigides. Sa complexité aussi, ainsi que son visage comme figé dans une expression neutre, exacte antithèse paradoxale de ce qui l'anime.


Verhoeven la met en scène presque toujours entourée, sa muse. Expression d'une certaine vision de la société et de certains gimmicks du cinéma français, Isabelle devient le centre de son propre monde par les relations que le réalisateur fait évoluer et les figures presque exclusivement masculines marquées par la soumission. Soumission à cette femme qui est une supérieure hiérarchique ou qui représente un intérêt sentimental. Complexe d'Oedipe aussi. Ou encore soumission qui passe par la satisfaction de fantasmes crapoteux ou du désir vécu comme un simple besoin qui dessine comme un creux dans le ventre. Les relations qu'entretient l'héroïne sont toutes ambigues et marquées par un désir de supériorité et de détachement.


Car elle est supérieure à tous ces hommes qu'elle finira par castrer. Après avoir tiré son plus, ou moins, grand plaisir, assouvi son désir mêlé de voyeurisme et de vengeance et comblant ainsi un vide qui semble abyssal, nourrissant un monstre effrayant et froid, qui ne recule pourtant pas, parfois, devant un trait d'humour caustique.


Et à la fin de la séance, on se dit que Verhoeven est finalement tel qu'on l'a toujours connu. Qu'avec Elle, il a simplement modifié la balance de ses curseurs. Le graphique débridé et marqué a simplement cédé la place à un psychologique tordu et parfois obscène. Le sous-texte, lui, demeure intact, conservant une certaine violence, entretenant un malaise palpable et inconfortable. Car Elle est inconfortable et singulier dans l'univers que Verhoeven investit. Si la forme surprend, Paulo, lui, reste le même.


Behind_the_Mask, qui change les serrures et nettoie les draps.

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le 25 mai 2016

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