"Elle a pleuré dans l'étreinte d'un papillon" : derrière ce titre merveilleusement poétique, il serait tentant de penser que l'on va se retrouver face à un film qui naviguerait dans des strates imaginaires ou oniriques. Il n'en est rien. Mis à part le beau prologue, où une belle femme est assise sur la terrasse d'une chambre d'hôtel, cigarette aux lèvres, le regard dissous dans des vapeurs mélancoliques en contemplant le paysage alentour, le film d'Im Kwon-taek reste pour ainsi dire désespérément terre-à-terre, c'est-à-dire profondément ancré dans un registre réaliste.
Et le réalisme en question, il tient en quelques mots : garder une trajectoire constante, nourrie par des désirs précis, que deux personnages vont s'appliquer à incarner : la jeune femme, revenue en Corée pour retrouver un amoureux, et le chauffeur de taxi, qui veut s'appliquer à la conduire vers d’hypothétiques endroits où il serait susceptible de se trouver. Sorte de road-movie, qui dévoile au fur et à mesure des pans d'espaces géographiques pour le moins ingrats (on est loin de l'esthétique d'un "Ivre de femmes et de peinture"), "Elle a pleuré dans l'"étreinte d'un papillon" renseigne au fond sur un certain état de la Corée du Sud du début des années 80, comme une terre en friche qu'il faut débrouissailler.
Pour la belle coréenne et son chauffeur, c'est ainsi que cette quête prend des allures d'odyssée. L'endroit où elle veut se rendre, à bien des égards, parait inaccessible (à un villageois à qui le chauffeur de taxi demande sa route, il lui est répondu : "c'est par là, mais il vous faudra porter la voiture"). Les routes cabossées parcourues, les auberges remplaçant les hôtels dans des coins perdus signalent qu'on est loin du boom économique qui fera de la Corée du Sud une économie florissante. Le film, au détour d'une scène (lorsqu'à l'arrivée du taxi dans un village, un handicapé s'écarte maladroitement du plan) prend une certaine allure documentaire.
Pourtant, loin de se cantonner dans ce qui pourrait ressembler à une radiographie de certains espaces du pays, "Elle a pleuré dans l'étreinte d'un papillon" capte, sur un mode plus universel, l'atmosphère des années 80. Si l'allure de la jeune femme - qui revient des Etats-Unis -, avec ses longs cheveux bouclés, ne dépareille pas avec une comédienne européenne, c'est surtout l'utilisation de la musique qui traduit une évidente captation de ce qui se passe ailleurs. On sursaute littéralement à entendre, surtout à l'auto-radio du taxi, la musique de "Love story", le "Passion" de Rod Stewart où, à la fin et, de manière désopilante, "Eye of the tiger", morceau-titre de "Rocky".
Avec ses clins d’œil à l'Occident - qui se résume, certes, aux Etats-Unis -, Im Kwon-taek prouve, dans sa filmographie prolifique, qu'il était non seulement capable de parler de son pays, en y explorant des zones inhabituelles, mais qu'il pouvait faire résonner son point de vue avec des cultures plus ancrées dans l'imaginaire collectif.