Ellis
7.2
Ellis

Court-métrage de JR (2015)

"I'm the ghost of all those who never got to get there"

Ellis, court-métrage de JR, artiste-photographe de rue, met en scène un Robert De Niro errant dans les lieux abandonnés de Ellis Island, une petite île au large de New York, connue pour avoir été des années 1890 à 1954 un lieu de passage pour plus de 12 millions d'immigrants voulant rejoindre les États Unis. Bebert, plutôt touchant dans ce rôle, dévoilant une facette nostalgique qu'on ne lui connait pas trop d'habitude, relate alors son expérience de migrant sur l'île.


La maison hantée


Le thème central du court-métrage est celui de l'histoire du lieu, Ellis Island. Si De Niro nous partage son expérience assez touchante, le récit est avant tout visuel : les centaines de visages collés un peu partout dans les lieux abandonnés de l'île, des visages tous différents les uns des autres, étant en cela une incarnation de l'humanité, parlent d'eux-mêmes, ils expriment l'histoire de leur passage par ce lieux, ils expriment leur dénuement et leur volonté de s'en sortir, leur drame personnel. Le fait que toutes ces femmes, hommes et enfants n'aient pas de matérialité à proprement parler en fait des figures fantomatiques, des fantômes hantant les lieux d'Ellis Island. D'ailleurs, l'errance de De Niro, - qui par son individualité représente l'ensemble des immigrants - l'abandon des lieux, et le froid ambiant lui confère à lui aussi cet air de fantôme, sorte de gardien des lieux qui prendrait par la main le spectateur afin de lui offrir une petite visite guidée.


Je dis ça, je dis rien...


Bien sûr, aborder le sujet de la migration en 2015 (année de la réalisation) n'est pas anodin. En parlant du passé, JR parle du présent, en parlant du là-bas, JR parle de l'ici : en parlant de la migration à Ellis Island dans la première moitié du XXème siècle, JR parle bien entendu de la migration en Europe par les îles méditerranéennes de nos jours mais, comme tant d'artistes avant lui l'ont fait, de manière détournée. C'est un sujet difficile et brûlant, mais JR l'aborde avec beaucoup d'humanité, comme à son habitude, et nous amène à repenser l'accueil qui est fait aux migrants de nos jours. Il me semble que l'artiste nous pose peut-être la question suivante : si les migrations ont fait les Etats-Unis hier, pourquoi ne feraient-ils pas l'Europe aujourd'hui ?


Esthétique des espaces vides


Ce qu'il y a de frappant d'un point de vue esthétique dans ce court-métrage, me semble-t-il, c'est le dépouillement de l'image par la capture de l'espace vide. JR filme le lieu abandonné, le lieu sans vie, à l'aide de prises de vue contemplatives, effet servi par la lenteur du mouvement de caméra qui enchaîne les travellings et autres panoramas, sorte de mouvements à tâtons, à la découverte du lieu sans vouloir faire trop de bruits ou déranger les vieux esprits qui y demeureraient encore. Ce vide qui, paradoxalement, remplit la rétine, reste toutefois contrebalancé par le plein des images collées çà et là.


Somme toute, JR nous offre un très beau court-métrage, entre histoire et actualité, drame personnel et drame collectif, vide de l'espace et plein du cœur. De très beaux plans, servi par un Robert De Niro touchant et une composition de Woodkid esthétisant le tout et renforçant la tension dramatique, sans être trop présente non plus. Je reprocherais toutefois, peut-être, la tendance de JR à tomber dans le discours sentimental, sans être non plus larmoyant, et consensuel, sans être pour autant moralisant, qu'il y a autour de la question migratoire. M'enfin c'est un détail, ces 15 petites minutes étant de très bonne qualité à mon goût.

willfaust
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le 16 févr. 2016

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Will I am

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