Avec une direction d’acteurs sans failles, un talent d’écriture rare, une construction intelligente, une peinture psychologique profonde et complexe de ses personnages, une réflexion audacieuse et pertinente sur le mariage de la religion et du capitalisme en terres américaines et enfin un regard acerbe et sans concession sur son peuple et ceux qui les gouvernent, Richard Brooks signe avec Elmer Gantry un film remarquable, s’inscrivant dans la lignée des meilleurs cinéastes américains.

De la grandeur à la déchéance, que d’événements agiteront la vie de l’aventureux Elmer Gantry, que de lieux cet homme de passage traversera-t-il, que de rencontres cet homme à femmes, fréquenteur de bouges et colporteur fera-t-il, que de blagues salaces racontera-t-il avec le même enthousiasme que son antienne sur l’amour divin, que de boniments autant que de prêches déclamera-t-il avec le même art oratoire ? Car après avoir vendu sa camelote, pris des trains dans les wagons à bétail, laissé des ardoises au bar, fréquenté des filles, Elmer Gantry sera celui qui fera lever les foules, grâce à une énergie de tous les diables, un verbe incandescent et une capacité de séduction irrésistible.

À travers ce fantasque protagoniste et sa trajectoire fulgurante, incarné par un Burt Lancaster on fire, R. Brooks plonge non seulement dans le monde des évangélistes mais il peint aussi une véritable fresque embrassant les États-Unis et sa province, ses décideurs et son peuple, ses vertueux et ses pécheurs, ses vierges et ses putains, ses innocents et ses cyniques, ses candides et ses hypocrites, ses désespérés et ses croyants, ses cartésiens et ses illuminés, ses humains et ses dieux. Et au milieu de tout ça se trouve Sœur Sharon, dévouée à son rôle de prédicatrice sans autre intérêt que religieux (de relier le plus de gens à Dieu), pure et angélique, quoique cédant aux charmes d’Elmer ; puis le journaliste, se voulant neutre, œil du spectateur, jugeant les comportements excessifs, comprenant les manipulations, demeurant fidèle à la vérité des faits. Ce dernier traduit l’empathie du spectateur et du réalisateur à l’égard d’Elmer, personnage trouble plus difficile à saisir que ce qu’il ne paraît (au contraire de la foule, grégaire et écervelée), humain avant tout, à la fois hypocrite, manipulateur, avide de d’argent et de pouvoir et foncièrement bon, croyant à Dieu et fidèle aux valeurs bibliques, amoureux de Sharon et honnête dans sa volonté de rédemption.

Le génie de Brooks ici réside dans sa capacité à interroger la frontière qui délimite le bien et le mal, le vrai du faux, le réel et le fabuleux, remettant en question nos propres croyances et autres préjugés. À ce sujet la scène du miracle, donnant la chair de poule, en est le parfait exemple.


Marlon_B
8
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le 25 mai 2023

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Marlon_B

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