Else est le meilleur film que j'ai vu au Festival de Gérardmer cette année. C'est un concept unique, totalement taré, et impossible à mettre en scène. Si son créateur, Thibault Emin, n'était pas monté sur scène avec une anxieuse humilité, pour évoquer la gestation de compliquée de ce projet de cœur, je n'aurais jamais deviné qu'il s'agissait d'un premier film, tant il fait preuve d'assurance, de maîtrise, mais surtout d'une audace confondante.
Si vous pensiez que “La Couleur tombée du ciel”, de Lovecraft, était impossible à adapter, attendez de voir Else, qui me fait reconsidérer de quoi est capable le medium en mettant en image la fusion de toutes choses et en allant absolument au bout de son concept, dans ce qu'il a de plus bizarre, fascinant, dérangeant ou terrifiant.
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Le film commence tout en douceur, comme une comédie romantique entre Anx (Matthieu Sampeur), trentenaire introverti, hypocondriaque et enfermé dans une routine casanière qui confine à l'agoraphobie, et Cass (Edith Proust), une jeune femme expansive et exubérante qui va le faire violemment sortir de sa zone de confort. C'est un très beau couple que tout oppose et dont l'alchimie fonctionne à plein régime. Les personnages sont bien écrits, brillamment interprétés et j'étais immédiatement investi dans leur relation qui a fait résonner en moi quelque chose de très intime.
Les amoureux se retrouvent rapidement enfermés dans l'appartement d'Anx, lorsqu'une mystérieuse épidémie conduit à un nouveau confinement. En dehors de "La Damnée" d'Abel Danan en 2024,c'est un thème étonnamment peu exploré par le cinéma, et je suis content de voir une nouvelle génération de réalisateurs s'en emparer, quand on connait l'impact durable qu'ont eu ces évènements sur beaucoup d'entre nous.
La première partie, tantôt feutrée ou chaotique, est remarquablement bien traitée. La relation sensuelle et attachante des amants est traitée avec justesse et humour et l'appartement est bourré de petits détails bien trop authentiques pour ne pas être biographiques.
L'épidémie vécue en huis clos se dévoile très lentement, gardant longtemps une aura de mystère, alors qu'on en comprend peu à peu les implications par des conversations, des allusions, ou la transformation subtile et progressive de l'appartement.
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La tension monte, mais continue de faire preuve d'une belle retenue, en évitant toujours de trop en montrer pour laisser travailler notre imagination. L'une de mes séquences préférées est littéralement filmée dans un placard et vous en dévoile juste assez pour aiguiller votre cerveau dans des directions terrifiantes. Grâce à un formidable travail sur le son et une mise en scène anxiogène, ça fonctionne parfaitement sur moi.
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Dans le même ordre d'idée, je trouve la séquence du drap absolument brillante. C'est une scène qui ne montre presque rien, mais que le réalisateur parvient à rendre douloureuse et insoutenable avec peu de moyens, si ce n'est une idée puissante, des sons évocateurs et la performance poignante d'Edith Proust.
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À ce stade, on pourrait penser que toute cette réserve vient d'un manque de moyens, mais croyez-moi, le film en a encore beaucoup sous le capot et opère un crescendo complètement fou entre la retenue du début et l'opulence visuelle du dernier tiers. Grâce à son travail sur les lumières, les matières, la colorimétrie et les particules, tout dans l’appartement véhicule l'étrangeté du phénomène et l'uniformisation du tout... et le film est parti bien plus loin que ce que j'avais imaginé.
Ma seule réserve concerne le personnage de Lika Minamoto dont on déchiffre difficilement les dialogues, et dont je n'ai pas compris la pertinence narrative. L'arc de ce personnage et ce qu'elle représente thématiquement m'est resté obscur, et j'ai trouvé sa prestation un peu gênante, alors que le reste du casting n'avait pas fait de fausses notes.
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Else était un projet ambitieux au point d'être royalement casse-gueule. Sa bande-annonce m’avait beaucoup intrigué, et c'était mon plus gros espoir de ce festival. Je suis heureux qu'il ait à ce point dépassé mes attentes.
C'est un film touchant et poétique, aux parti pris visuels radicaux, basé sur une idée surréaliste qu'il embrasse résolument. C'est une œuvre allégorique dont le message n'est pas toujours limpide, qui est restée avec moi longtemps après la séance, et m'a remué comme peu de films savent le faire.