Le chef-d’œuvre qu’est Elvis, en ces temps où le biopic encyclopédique est monnaie courante, tient essentiellement à la conviction que seul l’art est capable de rendre hommage à un artiste, voire de le ressusciter le temps d’un spectacle sans temps morts, à l’image des shows du King. L’esthétique de Baz Lurhmann se conjugue à merveille avec le rose, le bleu, le noir des tenues que l’on touche ou s’arrache sur la scène ; la démesure visuelle répond au sacrifice d’un homme, sinon de deux, pour une cause qui les dépasse et qui, le temps de la représentation, leur confère des élans d’éternité.
L’audace narrative consiste alors à déléguer la parole non à la vedette mais à son homme de l’ombre, à l’antagoniste que le cinéaste refuse de considérer comme tel, en témoigne l’ouverture qui joue avec les idées reçues et écarte d’emblée toute dimension moralisatrice. Là réside le génie de ce long métrage : refuser la condamnation, l’axiologie, le manichéisme ; leur opposer un star system qui élève et broie simultanément des acteurs complices et victimes. Le colonel, superbement interprété par Tom Hanks, désarçonne par sa lucidité et sa franchise qui font de lui un avatar de Buffalo Bill, autre figure controversée du divertissement de masse ; son origine foraine, doublée d’une naissance mystérieuse dans les Pays Bas – ce qui, aux yeux de l’Amérique, apparaît comme une contrée fort éloignée –, justifie les entourloupes qu’il ne cesse d’agencer pour lui mais aussi pour son protégé, son fils symbolique, son idole, comme l’attestent les larmes qui lui viennent en coulisses.
Elvis revendique une opacité, une complexité psychologique qui n’est pas sans rappeler l’énigme Gatsby, lui aussi pourchassant une étoile, dite lumière verte, en vain. La réalisation épileptique de Luhrmann, quoiqu’elle demeure toujours lisible, montre Elvis comme un acteur de son temps, un acteur dont l’engagement ne souffre pas de cette illusion rétrospective qui simplifie et schématise tant de biopics ; s’il participe à l’Histoire, c’est dans une immédiateté qui l’empêche de prendre du recul, de méditer, de prévoir ; tout est spontané, et l’esthétique du long métrage retranscrit fort bien cette urgence en la reliant au rock et à la performance sur scène. Il peut compter enfin sur un comédien magnifique dont la prestation laisse sans voix : Austin Butler trouve là le rôle de sa vie, auquel il apporte profondeur et authenticité. L’un des meilleurs films de Luhrmann, de l’année et certainement de la décennie.