Just Jaeckin nous a pondu un sacré chef-d'œuvre dont je vais me faire le plaisir de partager. Visiblement les critiques ne font pas l'unanimité et ce film ne semble pas compris du grand public. Film érotique, oui, certainement, mais moi j'y ai vu beaucoup plus qu'un film qui ne raconte rien. Pour moi, il raconte beaucoup de choses, et l'esthétisme du film ne fait que sublimer le tout. Sans omettre la B.O qui a sa grande importance et qui vient rythmer toutes les scènes avec dextérité et précision. Nous la devons à Pierre Bachelet et Hervé Roy qui se sont manifestement très bien entendu quant au tempo flâneur et alangui de leurs musiques. C'est précisément cette langueur qui se balade partout dans cette Thaïlande libre des années 70, qui m'a rendue sensible à ce voyage. Car c'est un voyage. Une longue ballade presque paresseuse dans laquelle on se laisse porter sans se débattre un seul instant. On baigne en effet dans un décor florissant, spirituel, magnifié par ces corps de femmes qui vont et qui viennent dans ces paysages naturels asiatiques. Je reviendrai plus tard sur la bande son qui accompagne notre ballade libertine et amoureuse.
Partons à la rencontre de cette jeune Emmanuelle, à peine 20 ans, innocente et influencée par son mari. Un personnage que j'ai trouvé d'ailleurs détestable. Aussi méprisable que Mario, ce professeur d'érotisme qui laissera Emmanuelle se faire violer par deux thaïlandais. Alors oui, il y a certaines choses qui dérangent dans ce film. Pour cause, la place des hommes dans ce film vient enlaidir toute la sensualité qui s'en dégage. Je n'ai pas mis 10, pour cette unique raison. Parce que, ce qui est mis en avant ici, ce sont les femmes. On remarquera d'ailleurs qu'on a droit à la nudité des actrices, mais à aucun moment on ne voit le corps des hommes. On voit des sexes féminins, on ne voit pas de sexes masculins. Ce n'est pas plus mal, me direz-vous. Aucun intérêt. Ce ne sont pas les hommes qui nous intéressent dans cette œuvre. Je ne pense pas que ce soit l'intention de monsieur Jaeckin, mais il décrédibilise les hommes dans son film. (Quoique, ce n'est pas impossible, c'était sûrement l'intention d'Emmanuelle Arsan, qui a écrit le roman) On retrouvera d'ailleurs ce sentiment en constatant qu'Emmanuelle, non contente d'être mariée à un homme qui la veut libertine, tombe finalement amoureuse d'une femme, Bee. Bee sera son chagrin d'amour. Ce sentiment d'amour que j'ai évoqué, il s'agit de l'amour d'une femme envers une autre. Le corps à cœur déçu d'Emmanuelle. (Je précise : je ne suis pas en train de descendre les hommes, je parle uniquement du sentiment que je ressens face à ce film. Il met en valeur les femmes, mais rend détestables les hommes. Faut-il détester les hommes pour autant ? certainement que non.) J'ajouterais même une chose : les hommes étant si brutaux, si frontaux, si désireux que les femmes soient libres, c'est cela même qui les poussera à s'aventurer dans les bras les unes les autres et à y trouver un réconfort, une tendresse plus sage et plus délicate qu'avec leurs maris. Ce point étant établi…
C'est une aventure au goût de liberté, d'oisiveté mais aussi, de légèreté. J'ai plané tout du long. Dans une atmosphère chaude de caresses sensuelles et douces. Le contraste est évident d'ailleurs entre la brutalité des hommes et la tendresse des femmes. "Ton mari m'a presque violée." On revoit la scène où son mari baise sa copine comme un lapin novice, impulsif et égoïste. Quant aux rapports entre les femmes, il se fait lent, plus progressif, plus bienveillant et beaucoup plus érotique. L'érotisme est présent ici à travers toutes les femmes que l'on rencontre dans ce film. Quant aux hommes, ils n'ont pas tant leur place ici, leur brutalité vient casser les ondes sensuelles qui émanent des femmes. Elles sont lestes, elles sont belles, elles sont pleines de finesse et d'onctuosité. Pas étonnant qu'elle tombe dans les bras de la fameuse Bee. "L'amour est un trop long voyage." Elle ne pleure que Bee. Elle ne pleure jamais son mari qui batifole par-ci, par-là. D'ailleurs, dans les premières scènes, son mari s'exprime sur son mariage avec elle, il ne l'a pas épousée parce qu'il l'aime, ni parce qu'elle est belle, mais parce que c'est la femme qui lui fait le mieux l'amour. Triste, non? On ne voit pas bien l'intérêt de leur mariage, honnêtement. Le mariage est un gage de fidélité mais c'est clairement un couple libertin donc la raison de leur mariage reste indéfendable.
Dans sa quête de l'érotisme, Emmanuelle rencontrera plusieurs personnages : Mario, je n'en parlerai pas tant je le trouve abjecte. (+ son mari, les Thaïlandais et les hommes dans l'avion, en somme, tous les hommes ne méritent pas que l'on parlent d'eux ici) Marie-Ange, cette femme jeune et libre qui initiera Emmanuelle dans la volupté et l'acceptation de son corps de femme. Ariane, une femme mûre et expérimentée mais perfide. Une femme tellement frustrée qu'elle saute sur tout ce qui bouge. Mais pourquoi pas ? Elle représente la figure de l'indépendance. Elle ne fait pas dans le sentiment. Sans doute son expérience l'a t-elle repoussée dans ses retranchements. C'est une femme de caractère qui met en avant sa carapace, son mépris et sa liberté. Un personnage intéressant qui mériterait une autopsie. Et Bee, certainement l'amour de sa vie mais aussi son plus grand chagrin et désespoir qui la poussera à courir de bras en bras pour l'oublier, mais l'on s'en doute, en vain. " L'amour est un trop long voyage…" Il dure toute une vie.
Enfin, pour revenir sur la BO, je passe outre la bande son crée par Hervé Roy puisque sans paroles mais sublime et qui prend tout son sens ici, je mets en lumière la chanson de Pierre Bachelet puisque le texte de sa chanson est… parfait. "Mélodie d'amour chantait le cœur d'Emmanuelle, qui bat cœur à corps perdu, mélodie d'amour chantait le corps d'Emmanuelle, qui vit corps à cœur déçu." Emmanuelle a besoin d'amour. Elle ne semble pas satisfaite de ce côté là. Un cœur déçu donc elle utilisera son corps pour panser ses maux. " L'amour à cœur, tu l'as rêvé. L'amour à corps, tu l'as trouvé. Tu es en somme, devant les hommes, comme un soupir, sur leur désir." Encore une jolie illustration de sa frustration en amour, qu'elle guéri avec le sexe. Les hommes la désire, oui, la belle Emmanuelle avec de beaux seins. Mais Emmanuelle est une femme, et elle est plus qu'une belle paire de seins. Son mari se chargera d'ailleurs de casser la gueule à son ami qui lui rappelle à quel point les seins de sa femme sont beaux. Il s'emporte ironiquement, alors que l'on sait que c'est lui qui l'a poussée à prendre des chemins d'infidélité. Rah, les hommes. Ca veut sa femme libre mais ça fini jaloux comme un pou. C'est la pointe d'humour glissé subtilement dans cette œuvre. Il l'a console pendant son chagrin d'amour alors même qu'il a conscience qu'elle aime une femme mais cela ne semble pas le déranger puisqu'elle a été rejetée par celle-ci. Il fait d'Emmanuelle sa femme-objet, finalement. Tant qu'il peut la garder sous le coude, tout va bien. L'ignominie des hommes, encore une fois dénoncée ici. La diabolisation des hommes est complètement justifiée et pourrait être représentée de la même façon encore aujourd'hui. (Encore une fois, ne n'en faisons pas une généralité mais la vérité se trouve bien là.) " Trouve les pleurs, cherche toujours, cherche plus loin, viendra l'amour, sur ton chemin" Emmanuelle rencontrera donc l'amour, avec une femme. Malheureusement la réciprocité ne fait pas partie de cette histoire. Ce qui constitue le drame de tout le film. L'amour, elle le trouve, avec une femme, qui ne l'aime pas en retour. Elle restera donc contrainte à rester auprès de son idiot de mari et de continuer ses aventures sexuelles pour cacher superficiellement ses blessures… Nous sommes donc bien dans une comédie dramatique érotique. Emmanuelle... qui a aimé Bee et qui lui aura dit " Une cascade, ce n'est beau que si on peut le dire à celui qu'on aime." Et cela est très vrai. Lorsque l'on tombe amoureux, tout s'intensifie. On porte un regard différent, plus profond de tout ce que l'on voit. Tout paraît plus beau et plus sensé. Lorsque l'on voit un paysage avec la personne que l'on aime, celui-ci devient plus grand, plus majestueux. Nos sentiments sont en première ligne en ce qui concerne nos sensations. Les paysages ont désormais une histoire. Ils prennent vie grâce à l'amour.
(Je ne suis pas rentrée dans les détails des relations d'Emmanuelle avec tous les personnages, j'y reviendrai peut-être plus tard mais j'ai mis en avant ce qui me semblait le plus important.)