Parfois, certaines recettes marchent pour nous. Pour moi, c'est le Paris-Brest, qu'il soit à la noisette, à l'amande ou à la pistache, je l'adore.


Tout ça pour dire que ce film vous en rappellera sûrement un autre. Et puis qu'il faut parler de l'éléphant dans la pièce, du modèle du genre, la recette originale : ce film pourrait passer pour un copier-coller du Régne Animal, à la sauce vampirique.


S'il est intéressant de voir que ces deux films ont été produits simultanément - écartant ainsi toute suspicion de plagiat - j'avoue que je lançais le film avec une certaine crainte. Ayant adoré Le Règne Animal, En attendant la nuit me paraissait un peu trop proche dans son postulat de départ, mais force est de constater que le vampire n'a pas tant à rougir du loup-garou.


Au centre du dispositif, un adolescent vampire, Philémon, au sein d'une famille humaine, arrivant dans un charmant - ou pas tant que ça - lotissement bourgeois rural (en Franche-Comté ?) et cherchant au mieux à se fondre dans ce paysage sans révéler la nature de l'aîné de la famille. A vrai dire, le point de départ est simple, voire simpliste, mais n'est-ce pas dans les meilleurs pot qu'on fait... les meilleurs Paris-Brest (promis, maintenant, j'arrête l'analogie pourrie).


D'abord ce qui distingue En attendant la nuit de son illustre prédécesseur, c'est une certaine radicalité dans son approche de la "créature", d'une certaine manière plus dérangeante que son jumeau lycanthrope. C'est bien sûr lié à la nature du vampire (se nourrissant du sang d'humains), mais aussi à l'interprétation impeccable de Mathias Legoût-Hammond, plus écorché vif, plus ténébreux que Paul Kircher... Mais tout aussi beau.


Cette radicalité vient également du glissement progressif du personnage. Car si dans Le Règne Animal, c'est un retour à la nature, à une certaine forme de 'sobriété' - et dans un autre film contemporain à celui-ci, Vampire Humaniste cherche Suicidaire Consentant, le parcours du personnage revient à une acceptation de soi-même - ici, il s'agit d'un mise au ban progressif de la société par la différence - d'autant plus dans une société très petit bourgeois typique de la ruralité de lotissement - qui amènera, ultimement, à des dénouements tragiques.


Ce glissement et cette radicalité est permis par certaines scène glaçantes - la tétée de la première scène m'a donné quelques frissons - et par une descente progressive du personnage, de plus en plus torturé - la silhouette dégingandé de Philémon de plus en plus filmée renforce cette sensation de mal-être grandissant - et de plus en plus sauvage. Ainsi, le film n'a pas peur de faire de Philémon un être antipathique et violent, et n'évite pas la confrontation du reste de la famille à cette nature inquiétante.


L'une des grandes forces du film est également la façon de dépeindre les relations intra-familiales... Je crois de bout en bout à cette famille, à leurs relations, à leurs conflits et à leurs complicité. Par touches discrètes, la réalisatrice permet de nous immerger dans les dynamiques de leur quotidien. Ainsi, le personnage du père, plus effacé que la mère, plus perdu, est tout à fait crédible, et cette distance relative à son fils rend d'autant plus touchant les interactions intimes qu'il peut avoir avec lui (Jean-Charles Clichet, que je ne connaissais pas, est autant une révélation que Mathias Legoût-Hammond).


Tout cela fait, à mes yeux, d'En attendant la nuit, un bijou d'écriture, dans son déroulé, et dans ses personnages.


Techniquement, la photographie et l'utilisation des décors est également sublime (créant un espèce de huis-clos autour du lotissement, duquel Philémon - j'adore ce nom pour un personnage principal - ne sort presque jamais), tout comme l'utilisation d'un musique très "synthétique" (?), qui souligne, finalement, le décalage du personnage avec son époque (le film se déroule dans les années 90). De plus, j'aime la façon qu'a la réalisatrice de parler et de montrer des ruralités que l'on a pas tant l'habitude de voir dans le cinéma français.


Finalement, et malheureusement pour ce magnifique film, En attendant la nuit souffre, et souffrira de la comparaison avec Le Règne Animal. Mais ces deux films marchent magnifiquement en diptyque et montre l'émergence de nouvelles façons d'aborder le cinéma de genre (comme l'on fait les peu commentés Tropic - avec également l'excellent Louis Peres - Kanun, Les Rascals ou La Gravité), non pas comme sujet mais comme support. Et qu'il sont un magnifique vecteur pour parler de différence et d'altérité, ce dont nous avons tellement besoin aujourd'hui.


Et j'avoue avoir hâte de découvrir les prochaines déclinaisons de cette recette, qui décidément, me plaît beaucoup.

Agregturp

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