Satire égratignant son époque, la nôtre, la mienne (j'ai 25 ans, en cette toute fin Décembre 2021) à la quasi-perfection, Adam McKay réussi, dans Don't Look Up, un film total, drôle et mélancolique, sur les absurdités qui sont désormais notre quotidien.
Forcément, il est impossible de ne pas voir, dans cette histoire d'astéroïde prêt à s'écraser sur Terre, une allégorie un peu grossière (mais tellement efficace dans sa figure de style) du changement climatique, et parallèlement, sujet qui s'est présenté dans l'actualité de la production du film, d'une petite pandémie de laquelle nous ne sommes pas non plus sortis. Dans le rôle des lanceurs d'alerte, Leonardo DiCaprio, à contre-emploi, scientifique, un peu coincé, addict au Xanax, qui, petit à petit va être amené à se compromettre, et Jennifer Lawrence (qui n'a jamais été aussi bonne comédienne) en doctorante intègre, donc cible de toutes les moqueries, qui petit à petit se fait voler sa découverte.
Cinématographiquement, ce qui m'avait laissé en dehors dans Vice, m'a happé. Ce sens du montage, très chaotique et désorganisé de McKay donne un sens fort au scénario, et souligne l'universalité du récit. Pour exemple, ce plan de ce guerrier/shaman asiatique dansant devant un paysage en proie au chaos, au coeur d'un récit américano-centré m'a donné des frissons et participe à démonter la vision auto-centrée des USA dans les récits héroïques. Et puis la musique, que je réécouterais sûrement souvent dans les semaines à venir, est assez marquante.
Mais ce film est tout sauf subtil. Il insiste sur toutes les grosses ficelles. La présidente, horriblement inculte et désintéressé, et son fils, mysogine et égocentrique, la télé et ses présentateurs veuls, inutiles, et gratuitement polémistes, le milliardaire de la high-tech, perché et dangereux, et toute une galerie de personnages plus lâches les uns que les autres. Mais force est de constater, que face au Covid-19, au changement climatique, et à l'appauvrissement généralisé de la population, nous faisons face à la même galerie de personnage médiocre dans nos quotidiens, dans nos téléviseurs et aux sommets de nos états, sensé venir à bout de ces problèmes. En résumé : Trump, Musk, Hanouna, Bolsonaro, Praud, Bezos, Johnson, Zemmour, Jobs, etc...
Don't Look Up met également en scène la société de l'immédiateté, du confort et de la bonne humeur organisée. Les propos des deux astronomes sont continuellement remis en question, euphémisés, et puis, instantanément, on passe à autre chose. Dans une scène magistrale, l'astronome DiCaprio sort de ses gonds en plateau, et déclame magnifiquement, en vain, le fait de ne pas être pris au sérieux dans cette lutte cruciale. McKay montre également l'instrumentalisation des faits et des luttes par ceux qui y voient un intérêt politique : la présidente, qui reprend à son compte ce Don't Look Up, slogan cometo-sceptique trumpiste, et cette chanteuse incarnée (plutôt brillamment) par Ariana Grande qui s'en sert comme thème de concert faussement caritatif.
Surtout, McKay met en image le désenchantement. Celui de ceux (j'en ai fait partie, ayant étudié l'agroécologie et tentant de le mettre en pratique au quotidien) qui essayent, à partir de certitudes scientifiques, de faire de ce monde un endroit meilleur, plus vivable, plus égal pour tous, mais qui font face à la caricature, aux obstacles, à l'indifférente, orchestrée, plus ou moins directement, par eux qui ont un intérêt à maintenir une forme de statu quo. La scène finale, où nos protagonistes se demandent ce qu'ils auraient pu faire de plus, résume cet état de fait. Malgré toute notre bonne volonté, la marche qui amène au changement est trop difficile (ou trop douloureuse) à franchir.
Cette scène finale, ces dernières minutes (après quelques minutes de creux, peut-être), met en perspective tout le film, en racontant les fausses illusions de nos sociétés. Il n'existe pas d'idoles : cette présidente, adulée par certains, fuit, en oubliant et en condamnant son fils par égocentrisme. Il n'existe pas de paradis : la Terre est notre seul foyer, et nous ne pouvons vivre qu'ici. Il n'existe pas de Dieu : il ne s'agit que d'un artifice auquel se raccrocher que quand tout autre espoir est perdu. L'humain est désespérément seul, seul face à ses congénères, et là est la fatalité de la nature humaine.
Don't Look Up est un film nécessaire, un constat amer mais nécessaire sur l'état de notre société publique, de notre politique et de nos médias, qui ne donne pas bien confiance en l'avenir de notre monde. Mais ce n'est pas comme si j'avais encore beaucoup d'optimisme en réserve