En fanfare est a première vue une comédie populaire, un feel good movie sans prétention à la sauce fanfare du Nord de la France. Mais il faut se méfier des apparences.
Le point de départ scénaristique est un classique. Évoquant la géniale nouvelle de Maupassant, Aux Champs, Emmanuel Courcol met en scène la rencontre improbable de deux frères qui ont été séparés à la naissance et se sont construits dans deux univers sociaux diamétralement opposés. Plusieurs décennies plus tard Thibaut est devenu un chef d'orchestre à la réputation internationale, tandis que Jimmy est devenu un prolétaire du Nord employé dans une cantine. Bien sûr chacun d'eux ignorait l'existence de leur frère utérin. L'événement déclencheur de cette rencontre comporte une puissante charge dramatique qui avait tout pour faire sortir les mouchoirs : Thibaut a contracté une leucémie et a besoin de la moelle osseuse de son frère pour survivre. Mais le réalisateur choisit contre toute attente d'évacuer la maladie du développement narratif (ou presque) pour n'en faire qu'un simple prétexte afin de créer les conditions d'une véritable rencontre fraternelle et sociale. Quant à Jimmy, s'il a donné sa moelle par simple esprit de solidarité pour sauver son frère, il n'en deviendra pas pour autant un héros.
De là, le film prend un virage totalement inattendu. Les deux frères sont reliés par une passion et un don partagés qui subliment toutes les différences : la musique. C'est véritablement cette dernière qui sera le troisième acteur de cette comédie, le fil qui reliera les deux frères aux destinées contraires. Les scènes musicales sont d'une puissance rarement vue à l'écran. Tout d'abord, les musiciens jouent vraiment, que ce soit dans l'orchestre symphonique ou dans la fanfare municipale d'amateurs. En outre, le film prend le temps de nous faire écouter la musique et les scènes de direction musicale sont admirables. On parvient à toucher du doigt le rôle essentiel du chef d'orchestre, qui ne se résume pas à agiter les bras devant l'orchestre : il écoute, il conseille, il rectifie la justesse, il ajuste l'articulation des notes et façonne l'expression. Tout se joue pendant les répétitions qui sont la face cachée du concert.
Comme dans Le Goût des Autres de Bacri/Jaoui, l'art est un catalyseur de fraternité et d'humanité par-delà les différences sociales. Les ouvriers amochés de Wallincourt trouvent dans la fanfare un réconfort ultime, une communion fraternelle qui permet de faire front commun pour surmonter les tracas des vies brisées par la désindustrialisation et la fermeture de l'usine. L'immixtion d'un prestigieux chef d'orchestre au sein de cette harmonie faite de bric et de broc est particulièrement intéressante. On ne saurait dire qui du chef prestigieux ou des musiciens amateurs est le plus intimidé. Thibaut (Benjamin Lavernhe), très sobre et au jeu parfaitement maîtrisé, incarne admirablement son rôle de grand bourgeois qui découvre la réalité sociale de ses origines, mises sous le boisseau par des décennies de mensonge familial. Il comprend dès lors qu'il doit sa réussite autant à son talent qu'à la "chance" d'avoir été extrait dès la tendre enfance de son milieu d'origine. En quête de réparation, il va tenter d'apporter son concours à cette sympathique communauté humaine cabossée et unie par l'amour de la musique. Bien qu'un monde le sépare des ouvriers, il ne leur assène pas son mépris de classe et la pesanteur des codes bourgeois qu'il fréquente dans les salles de concert aux quatre coins du monde. Par sa juste distance avec cette communauté chamarrée, il parvient à découvrir un univers social qui aurait pu (dû) être le sien. Avec sa chaleur humaine et sa solidarité, ses imperfections, mais également ses talents inexploités comme celui de son frère Jimmy (Pierre Lottin).
Ce dernier crève littéralement l'écran avec sa gouaille tout en retenue, ses coups de sang maîtrisés et sa simplicité. A aucun moment il ne surjoue et on est captivé par l'éclosion de ce talent brut qui méritait vraiment de passer à autre chose après Les Tuche. Son personnage est par ailleurs très subtil : entre loyauté à son milieu et dépit de n'avoir jamais pu exploiter son don, il se prend à rêver d'une autre vie, celle qu'il aurait pu avoir si lui aussi avait été adopté comme son frère. Avant que la réalité ne le rattrape et lui inflige une terrible leçon d'humilité ou d'injustice, c'est selon. Car le talent sans le travail acharné n'est rien. Encore eût-il fallu qu'on décelât, à l'instar de son frère, qu'il avait l'oreille absolue quand il était enfant.
Le film prend le soin de ne jamais aller dans les voies toutes tracées que l'on attend de ce genre de comédie. Il évite consciencieusement le conte de fée à la sauce hollywoodienne : Jimmy ne deviendra pas un grand musicien malgré son don naturel, la fanfare gagnera uniquement à la baston, l'usine sera délocalisée et la happy end tant attendue sera une scène musicale poignante sous forme de requiem.
En fanfare est un très beau film en mode mineur au propos juste et édifiant. Plus encore, il s'agit d'un vibrant hommage à la musique et à la fraternité. Film social subtil qui ne sombre à aucun moment dans le misérabilisme ou la caricature déterministe, En fanfare démontre au contraire que toutes les trajectoires de vie, même celles situées aux antipodes, peuvent atteindre à l'élévation sociale et spirituelle pour peu que la solidarité humaine prenne le pas sur l'égoïsme triomphal qui dirige le monde. Il y a du Guédiguian dans l'air (et au générique !).