La démagogie est un fléau de tous les temps. Les élections de Trump et de Macron sont les illustrations les plus fraîches à l'heure actuelle. Néanmoins, il est problématique de voir le champ politique s'insérer dans le cercle cinématographique. Pourtant, n'était-ce pas Godard qui, fièrement, plaçait le politique tel l'enjeu inhérent au cinéma ?
Le cinéma social s'est développé par toutes les branches possibles : Wellmann développe cette conception dans une Amérique dévastée par la crise de 1929, Loach renouvelle un cinéma brut mais sensible tandis que les frères Dardenne vampirisent le genre en arborant toutes les ficelles typiques du film de genre. De mon côté, j'applaudis, bêtement, le travail des frangins - par démagogie ?
On aime se complaire dans des sentiments ambivalents, rattrapant toutes nos maladresses d'un temps pour les convertir - habilement - dans un instant défini. Or, notre sensibilité s'avère bousculer face à la magie maladroite de Stéphane Brizé. Juger une telle œuvre, sans aborder la douloureuse question politique, s'avère problématique tant les enjeux émanant du film relèvent d'une délicate perception de notre société. La difficulté de la transcription, chez Brizé, semble être une priorité.
Quel chemin parcouru chez cet homme... Le souvenir lointain de la loi du marché ne me convainquait en aucun cas d'assister à la séance de son dernier long-métrage. La bouillie visuelle ne me choquait pas en première instance, puisque la dénomination des émotions me semblait totalement grossière. Pour preuve, ce film représentait le principe même du film démagogue. Développer un champ narratif pour décrire une vie minable, dans une enveloppe minable, ne me semblait pas être une des vertus les plus pertinentes chez un cinéaste - à la prétention très mal placée. Le résultat fut sans appel à sa sortie : le régime Hollande venait applaudir cette mascarade pendant que le détritus Parisot se lamentait sur la méchante description du patronat. L'être binaire façonne des monstruosités, nous ne sommes plus à une évidence près.
Ma vision fut guerrière face à la guerre tant promise par Brizé dans la bande-annonce hypnotique d'En Guerre. Je l'imaginais plus ardue, plus sanglante, plus outrancière. Dieu sait qu'elle l'est. Le ton, par contre, subit les attaques, pleines de grâce, de Lindon, captant l'appareil, contre l'attirail des tribuns. Brizé se cache derrière des postures, mais l'importance quasi-documentaire de son œuvre résulte en un travail sincère et synthétique, bien qu'amoindri par un manque criant de finesse. La fin vient corroborer cette pensée. Justement, il serait temps d'évoquer celle-ci.
Le film embête et inquiète. Il est drôle de retrouver le jeu des médias, en distinguant, pêle-mêle, BFM et les chaînes de France Télévisions. Pourtant, Brizé n'arrive pas à capter ce moment. Forcément, il est nécessaire de retranscrire un climat, une ambiance, un visage de la France contemporaine, mais quid du réel ? La télévision filmerait comme au cinéma dedans. Ou l'inverse ? Le rapport à l'image pose problème, mais, évidemment, cela proviendrait d'un problème inhérent à notre temps. Pourtant, Brizé, en se prétendant capteur d'un temps, devient l'homme à abattre. Captant l'occupation du hall du MEDEF comme un bleu de BFM, il se retrouve plongé dans les méandres de sa propre mise en scène. La fin du film pose spécifiquement ce problème. Il est difficile de l'évoquer, par altruisme envers de possibles lecteurs, soucieux de découvrir En Guerre. Néanmoins, l'imagerie, dont elle est issue, vient dénaturer l'envergure du personnage principal. Un désastre émotionnel pour quel profit ? Les larmes ne coulent plus, elles s'effacent au profit des grondements. Sont-ils sensés ?
Au-delà de ces états de fait, le long-métrage, viscéral, respecte les enjeux de nos syndicalistes tant aimés. Bien évidemment, si vous êtes de droite, vous n'aimerez pas le film, puisque vous vomissez profondément la contestation sociale. Par contre, si vous êtes un gauchiste, vous allez adorer vous pavaner sur le nouveau film chic et choc bourgeois du cinéma français. Les prétendus férus de cinéma se contenteront d'un produit habilement étiqueté, mais sûrement plus coriace que prévu, mais aussi plus parlant qu'un discours de Ruffin.