En guerre; le titre a déjà le parfum de la révolution et sent bon le PCF et la CGT. Vincent Lindon, le lutteur social du cinéma français, déjà bien installé avec Welcome et la loi du marché entre autres, joue cette fois le leader syndical d'une usine menacé de fermeture; entre trahison, grève et famille, voici le portrait d'un homme "normal" face à une société déshumanisée par le grand capital, les monopoles et le néo-libéralisme. Nous voici donc face à Vincent Lindon, premier de cordée d'un bloc anti-Macron. Et de Stéphane Brizé ne l'oublions pas; la loi du marché était déjà son produit.
Le film est donc éminemment politique, à peine à gauche, il faut donc voir ce que Stéphane Brizé nous propose pour soutenir son point de vue. De ce côté, on peut affirmer le film comme réussi, répondant au travail demandé, mais qui n'est certainement pas chef d'oeuvre.
On ne peut parler de cette oeuvre sans évoquer la précédente de Stéphane Brizé que j'ai déjà évoqué, la loi du marché, qui forme en quelque sorte un diptyque social avec Vincent Lindon en interprète principal, toujours aussi impeccable. En premier lieu, Brizé garde la même lumière terne, hivernale qu'il avait utilisé ainsi qu'une prédominance de couleurs froides, et qui de surcroît s'ajoute narrativement à la présence d'une trame suivant la vie familiale du personnage principal. Le personnage semble le même: un homme seul, dont le travail ne lui apporte que désespoir et ne trouve que réconfort dans l'objet que forme la famille. La loi du marché caractérisait son personnage surtout par le prisme du métro-boulot-dodo; le film était une longue sérénade, une contemplation de cette vie démunie, ennuyeuse. Brizé ne pouvait se permettre de garder ce même rythme pour un film se dénommant En guerre; il s'y fait plus saccadé, la contemplation est immergé dans la foule de manifestants ou au milieu des CRS; il n'y a pas de pause, c'est la lutte constante. Le personnage principal, comme pour le film précédent, est toujours cette icône du lutteur solitaire, la famille n'étant qu'un lointain point d'appui. La caméra reste centré sur lui: elle appuie ces mots, sa démarche; le débat intervient depuis ses yeux, son point de vue. Le personnage personnifie la lutte totale pour ses droits en tant qu'être humain face aux capitalistes avides que représente la direction de l'entreprise.
Brizé va jusqu'à s’immiscer dans la mise en scène du film de guerre, entre trahison, ralliement et scènes de bataille qui ne disent pas leur nom. Cette guerre est une guerre du paraître, l'opinion public est finalement le seul baromètre et arbitre de cette guerre: qui remporte la guerre des médias l'emporte.
La scène finale, qui clôt le film avec splendeur, fait écho à deux situations, du point de vue du combat et de l'autre du personnage principal. Pour le personnage principal, Marx n'avait-il pas dit que la fin de la lutte signifiait la fin de l'histoire ? Ne semblez donc pas raisonnable que si la lutte cessait, le personnage principal cessait d'être. Avant de mourir, il n'oublie cependant pas les générations futures, incarné par son tout juste né petit-fils,afin de leur transmettre le poids de l'héritage ainsi que le poids de la lutte. Le personnage principal meurt en martyr. Avec sa mort, la lutte n'a plus raison d'être.
Du point de vue du combat, si le paraître semblait perdu avant la tragique fin du personnage principal, le combat est gagné grâce à l'image, grâce à cette guerre médiatique. Le cynisme du décès du personnage principal est acté: un format portrait, filmé par un smartphone, n'aseptise pas le départ de l'intéressé, voué à brûler devant un objectif qui ne le sauve pas lui, mais la lutte. Sa fin est plus que tragique; sa vie ne comptait pas jusqu'à ce moment. Il aura fallu un mort pour en sauver un millier.
Brizé arrive à transmettre son message de cynisme et d'absurde, face à une société qui lui semble déshumanisé et qui ne traite plus que les hommes en tant qu'objet et non plus en tant humain. Réussi sans proposer de grandes extravagances.
EDIT: La prochaine fois, Vincent Lindon n'aura qu'à traverser la route pour trouver du boulot.