La parole libérée, déclamatoire, revendicative, agressive, accusatrice, éprise de justice, manipulatrice, unificatrice et diviseuse, voilà le protagoniste de En Guerre. Et, sans apprêts ni fard, nue et authentique, extraite de l'artifice de dialogues déjà écrits mais à peine encadrée par un indispensable canevas, elle se voit concéder par S. Brizé l'espace qu'elle réclame pour exister. Si bien qu'elle prend confiance en elle, consciente de son importance vitale et assume sans crainte son rôle principal, les acteurs ne représentant plus qu'un vecteur, un intermédiaire, un corps lui donnant chair - l'incarnant donc.
Ne sous-estimons pas toutefois le travail toujours aussi énorme de Lindon, et de tous ces acteurs amateurs, parfaitement dirigés par Brizé, tous aussi convaincants que leur leader. Ceux-ci parviennent à retranscrire à merveille les enjeux du combat, les rapports de force, les conflits internes inhérents à la situation – c'est-à-dire, la fermeture du site d'Agen, décidée par les dirigeants, et ce malgré les bénéfices de l'entreprise, dans un contexte de libéralisme économique. Et Brizé s'arrête, regarde et montre avec précision ce qu'il se passe réellement derrière les images méticuleusement triées que nous donne les médias – toujours aussi racoleurs. Caméra à l'épaule, volontairement mouvante, cahotée, discrètement indiscrète, engagée, il nous fait le récit de la lutte d'un groupe d'ouvriers, avec l'art du rythme (l'intensité verbale atténuée par quelques pauses) et de la narration d'un cinéaste maîtrisant son sujet.
Il est vrai néanmoins que la force orale de En Guerre essouffle parfois, suffoque, donne le vertige. Mais elle ne prétend que refléter, à l'inverse des médias trop simplistes et brefs, la réalité du terrain (les négociations, la complexité des faits, la fourberie des intervenants, etc) de forme quasi documentaire, sans chercher de complaisance, de facilité, de raccourcis, le silence défaitiste. Et même quand cette parole cesse, un autre vertige nous saisit, comme dans l'excellente scène inaugurale de la manifestation, magistralement filmée, parfaitement accompagnée par l'urbaine et industrielle électro du jazzman Bertrand Blessing, celui du peuple uni pour lutter – belle image qui hélas s'efface de nos jours au profit d'un combat individualisé et traître, synonyme de la victoire d'un système aveugle et muet qui comme un cancer ronge tout de l'intérieur.
Un beau film, d'une puissance sociale considérable, d'un S. Brizé qui sait toujours se renouveler, et bien, lui qui figure pour nous dans le groupe fermé des meilleurs cinéastes français contemporains.