C'est un film qui commence très fort, je pensais tenir un chef-d'œuvre poétique, et qui finalement se délie un peu. Non, il ne se délie pas, disons qu'il tient sa ligne et que sa ligne, il la systématise. Peut-on, en 1h30, faire ressurgir le passé et l'analyse du passé ? Car c'est l'ambition du film : il y a la matérialité du passé, les rues, les arbres, les mains, les corps abandonnés. Il y a son analyse : on s'est trompé de camps, mais était-ce si facile ? La veuve d'un homme assassiné parce qu'il était soupçonné de pétainisme revient à Toulon, vingt ans après, se venger de ceux qui l'ont dénoncé. Le film est très concret : Danielle Darrieux ne vient pas qu'avec sa mémoire, elle vient avec un revolver. Et ça change tout.
Je crois que le cinéma français ne voit plus, c'en est finit, on ne voit plus des films qui voient. On voit des films qui se détournent du réel par paresse ; ou des films qui alignent des morceaux de réel, s'y conforment, sans révolte, par paresse aussi. On ne voit plus des films qui montrent une rue, une église, une pierre, en faisant surgir à la fois la mémoire qu'elles cachent et la beauté de ce qu'elles sont matériellement. On ne voit plus de films bressoniens, pourtant Vecchiali le disait, "tout ce qu'il y a de bien en France vient de Bresson". Je crois qu'il a raison, et si je délire un peu, je dirais que c'est même une fatalité, et que cette fatalité est très belle : en France on ne peut voir que si on est bressonien, il n'y a pas d'autre solution. C'est à dire que la question de Bresson c'est la question de la France et les plus grands cinéastes de notre pays ont compris que Bresson était abordable sur ce terrain là.
On ne voit plus, en France, des films délimités par le tragique comme celui ci, des films qui prennent le risque de ce confronter à cette question, c'est quoi la France, qu'est-ce que c'est que ce pays, ce territoire minuscule mais si compliqué, c'est quoi cette lâcheté et cette grandeur française. Après Bresson, donc, Godard, Pialat, Eustache, jusqu'aux petits Dumont et Guiraudie, ont épousé ce vertige là. Vecchiali est l'un des leurs. Mais son film m'a appris quelque chose. Un film qui voit n'est pas qu'un film qui sait seulement saisir la matérialité des choses. Cela, c'est le minimum. Un film qui voit est un film qui comprend, qui analyse, qui dialectise ce qu'il montre. Ainsi, En haut des marches ne cesse de nous poser des questions sur ce que nous voyons - une femme qui déambule, qui souffre, Danielle Darrieux qui n'a jamais été aussi belle. Mais les visages, les souvenirs, le vent, l'éclat des vagues, le souvenir de la mère ; tout cela qui coexiste - ne cessent de distiller le doute. Suffit-il de n'avoir pas vu pour être coupable ? Le film, lui, est assez frontal, il voit tout, il ressent tout, d'une femme qui n'a pas vu - ou qui n'a pas voulu voir ; et ça changerait tout. Dans les rues de Toulon, elle voit déambuler sa mère aveugle, qui lui touche le visage. Il ne s'agit pas d'être là, de tout comprendre, il s'agit surtout de savoir ce qu'on vit. Et le film épouse cette pensée : il montre tout autant qu'il démontre. C'est une ambition folle et en même temps, Vecchiali n'a pas la grâce de Godard, qui a lui l'art de la suspension, de la nuance, de ces temps démonstratifs brusquement interrompus par la contemplation - c'est là que la pensée peut vraiment naître.
Vecchiali finit par vouloir faire ressurgir tout le passé, au lieu de le laisser affleurer. On ne finit par plus écouter les beaux monologues des personnages, on voudrait être un peu seuls dans ces rues de Toulon. Finalement, ce vertige, le film ne cesse de nous le désigner, au lieu de nous laisser l'éprouver. C'est un peu étouffant à la longue, mais la poésie, la folie, l'invention et l'audace sont là.