Après les abysses de la dépression forclose Dans la cour d’un immeuble, Salvadori propose à son personnage l’expérience d’une liberté tout aussi problématique : pour l’un, il s’agit de réparer une détention injuste de plusieurs années, pour l’autre, l’épouse du flic ripou qu’il l’a fait enfermer, de découvrir qui fut feu son mari, et comment redonner un sens à son deuil.
Toutes les pistes d’un drame bien pesant sont présentes, mais c’est par le biais de la franche comédie que Salvadori traite son récit, de celle qui ose toutes les directions (de la romance au conte, du burlesque à la farce) sans pour autant perdre son cap.
Les maladresses ne sont pas pour autant absentes : le jeu assez inégal des comédiens, offrant quelques séquences un brin pesantes (notamment des séquences trop écrites et presque théâtrales entre Tautou et Marmaï), quelques coups de fatigue sur le plan du rythme et des répétitions qui, certes au profit de quelques running gags, ne font pas toujours mouche émaillent un peu l’ensemble.
Mais la présence d’Adèle Haenel parvient à apporter le liant nécessaire, par une performance la faisant osciller entre la femme forte (un rôle qu’on lui connait trop bien) et la veuve qui voudrait volontiers se laisser aller à la sentimentalité.
Si la comédie fonctionne, c’est par la manière dont elle distribue dans le plan ses protagonistes, avec un soin maniaque apporté à la profondeur du champ. Dans la majorité des séquences, la narration se déroule sur plusieurs plans, par la présence de spectateurs de l’action principale. C’est évidemment le principe même de la filature opérée par le personnage d’Yvonne, qui commente avec étonnement les agissements étranges du libéré (avec, notamment, une série de « Putain » qui cite avec un certain talent la mythique scène de The Wire), mais le traitement ne cesse d’être décliné au fil du récit : c’est notamment le cas dans la scène du taxi, le chauffeur écoutant avec effroi les remontrances de Tautou à son mari, le personnage du psychopathe sans cesse relégué au second plan par le regard embrumé d’amour de Damien Bonnard, ou les vigiles assistant, à l’écran, à un braquage dont ils peinent à déterminer la nature.
Cette profusion, ajoutée à un sens de la réplique souvent percutante, accompagnent avec talent les atermoiements d’une intrigue qui fait la part belle aux jeux de rôle et à une narration débridée ne s’embarrassant pas d’une crédibilité corsetée, comme l’indique clairement ce récit à version multiple sur la mythologie du défunt mari, ou la façon dont le personnage d’Audrey Tautou met en scène la réalité pour qu’elle approche de ses rêves romanesques. Parce que la comédie se fait par sauts et revirements, la liberté éponyme s’invite aussi dans la tonalité et l’écriture de ce film qui, s’il ne renouvelle certes pas grand-chose, offre un pas de trois assez revigorant et enlevé.
(6.5/10)