Absolument fan du duo grolandais j’attends toujours leur nouveau film avec une certaine impatience même si cette année j'avais manqué le rendez vous en salles avec En Même Temps, le dixième long métrage des deux compères. Comme toujours très ancré dans l'air du temps et animé de préoccupations sociales, la cuvée 2022 Kervern/Delépine qui s'attaque de biais à la politique est une nouvelle fois un bon cru.
En Même Temps raconte l'histoire de deux hommes politiques l'un de droite décomplexée et l'autre de gauche tendance écolo qui se rencontrent autour de la possible implantation d'un futur parc de loisirs à la place d'une forêt millénaire. Après une nuit un peu trop arrosée les deux hommes se retrouvent collés l'un à l'autre par une activiste féministe les obligeant à une cohabitation forcée.
On retrouve dans En Même Temps tout ce qui fait le cinéma de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec une galerie de personnages aussi azimutés qu'attachants, une énergie libertaire et anarchiste, un humour parfois complètement absurde et cet amour immodéré pour les personnages en marge se débattant dans leurs contradictions et la marche forcée du monde. Le film s'ouvre sur le portrait forcément très caricatural d'un homme de centre droite à la beaufitude fièrement assumée et d'un écolo tout mou pétris des meilleures intentions mais partiellement déconnecté du monde réel. Le trait est épais mais la charge est amusante et de toute évidence il fallait que l'antagonisme intellectuel soit fort pour que la future cohabition soit des plus savoureuse. D'un côté Jonathan Cohen s'amuse beaucoup à incarner un type suffisant, manipulateur, raciste et misogyne tandis que de l'autre Vincent Macaigne incarne une caricature d'écolo bobo moralisateur sans OGM option voiture électrique. Une fois à la colle, les deux extrêmes devront symboliquement apprendre à marcher ensemble et s'écouter pour finir par partiellement se confondre humainement parlant. Car bien plus que de clivage politique et d'idéologie, En Même Temps parle de ce sentiment désabusé et du désaveu de la politique face à une société tellement morcelée qu'elle ne sera plus jamais d'accord dans sa globalité. Le film qui semble taper sur tout le monde de la droite décomplexée à la gauche moribonde en passant par l'hypocrisie de l'écologie forcée, l'obsession inclusive, le véganisme, le green-washing et le féminisme militant aveugle pour qui tout homme est un forcément boomer violeur en puissance, mais le film dresse surtout le portrait d'une société complexe et contradictoire dans laquelle il est de plus en plus difficile de porter ses idées sans qu'elles deviennent des caricatures aux regards des autres. Même si le film n'épargne personne et surtout pas notre époque, à mesure qu'il avance se dessine pourtant un message profondément en faveur du féminisme, mais bien sûr un féminisme à la sauce Kervern et Delépine c'est à dire militant mais surtout joyeux, bordélique, anarchisant, libertaire et poétique. Ce message est portée essentiellement à l'écran par un très bon trio de comédiennes avec la formidable Inda Hair (Mandibules – Crash Teste Aglaé), Jenny Beth (Les Olympiades) et l'humoriste Doully devenue une figure emblématique du Groland.
Mais un bon Kervern et Delépine ne serait rien sans une joyeuse galerie de personnages décalés et surtout quelques traits d'humours totalement absurdes. En Même Temps nous offrira notamment une formidable idée de karaoké pour mecs bourrés dont toutes les paroles sont transformés par des éhhéhh béhhhhh béhhhhh éhhhhé … ou de formidables gags de second plans. Le film permet aussi de retrouver Yolande Moreau, fidèle complice des deux compères, dans un rôle de tenancière de bar à hôtesses, Thomas VDB en vétérinaire, Ovidie en vigile, François Damiens parfait en patron de restaurant à la mode US se lamentant sur le déclin de l'empire américain, Hakim Amokrane (membre du groupe Zebda) en chauffeur de politicien, la magnifique Anna Mougladis, l'ancien syndicaliste Xavier Matthieu en flic municipal et le duo Kervern / Delépine dans des petits rôles amusants.
Comme souvent chez le duo le film souffre à un moment donné d'une légère baisse de rythme mais rien préjudiciable à retrouver le petit monde des deux acteurs, scénaristes et réalisateurs qui se sont construit depuis 20 ans une singulière et formidable carrière dans la sinistrose du paysage de la comédie française. Pourvu que leur cohabitation à eux dure encore longtemps.