Les plateformes VOD ont inventé une nouvelle façon de faire du cinéma : le "cinéma virtuel" où plus rien n'existe, aucun décor, aucun accessoire, aucun ciel, rien. Avec LIFT, film de braquage en avions dans lequel les avions sont virtuels, Netflix va encore plus loin puisque même l'air recraché par les poumons des acteurs est virtuel lors des séquences en altitude.
Désincarnation totale, cinéma-formule et surtout, surtout, un spectacle le plus lisse possible, garanti sans aspérité, sans remoud, sans hémoglobine et sans aucune mort, à part peut-être un "méchant" ou deux (et encore). Tout ça dans un univers 'United Colors of Benetton', sécurisé et sain, où la moindre minorité aurait sa place ; l'handicapé moteur antipathique remplaçant le "célèbre" 'sidekick' noir drolatique des années '90, et où les nationalités seraient interchangeables dans un monde ouvert virtuel, sans frontière, fantasme ou mensonge suprême et prolongement ultime du "monde réel", dans lequel tous les centres-villes IRL se ressemblent, uniformisés après les prises d'assaut des grandes marques internationales. H&M, Zara, Carrefour, Lego, les mêmes boutiques que l'on soit à Vienne, Saint-Quentin, Dublin, Stockholm, Copenhague, Florence ou Valladolid. Taylorisation, McDonald-isation, Amazon-isation, Sainte Trinité du Grand Capital, où les spécificités sont étouffées, les signes distinctifs gommés, les caractéristiques nationales karchérisées. Pour les différencier ? Une simple vignette suffit, "carte postale" succincte en amorce de séquence, présentant les monuments iconiques de chaque ville où se déroule l'action. Manque juste le nain de jardin en céramique.
Dans cette partouze communautaire lunaire, des acteurs surpayés sont conviés à être là sans y être, comme des lapins pris dans les phares, les regards bovins, désespérément vides, avant que l'IA ou des clones prennent définitivement le relais ; pour l'écriture, c'est déjà fait grâce à ChatGPT. Comment leur en vouloir, vu le texte qu'ils ont à déclamer ? Et puis de toute façon, ces soi-disant "acteurs", plutôt influenceurs porte-manteaux, au mieux, ambassadeurs de marques, étaient-ils bien tous présents en même temps sur le plateau, dans chacun des plans de toutes les séquences de ce patchwork virtuel ?
Illusion optique, plans composite, trafic numérique où "l'acteur" devient kleenex, un vulgaire placement de produit pour que le même film soit vu par les abonnés de ces plateformes aux quatre coins du globe, une poupée de chiffon interchangeable valsant au gré d'une prise d'accents folklorique puisque dans ce nouveau "cinéma virtuel", ce Cinecittà 2.0, les nationalités sont imaginaires ; un français incarnera (mal) un norvégien, une coréenne et une espagnole parleront (péniblement) anglais, une américaine parlera (mal) italien et un américain prendra (mal) l'accent anglais, osef, tout est bon pour que le produit fini soit le plus international possible, et toujours bien propre "comme il faut", 'World company approved', c'est important.
Après un MINISTÈRE DE LA SALE GUERRE mensonger puisque, devant l'absence totale d'adversité rencontrée par ses protagonistes, le spectateur se demandait si une guerre aussi "propre" que celle dépeinte dans le film, avait bien pu exister un jour, ailleurs que dans les bacs à sable des jardins publics ; LIFT prolonge le cauchemar, s'affranchissant de toute règle esthétique, narrative et technique, en proposant un spectacle robotisé, sur un canevas scénaristique réduit à sa plus simple expression. Carcasse rabougrie, évoquant les repas micro-ondables d'une compagnie aérienne 'low cost', qu'un steward aurait réchauffé trop longtemps et qui pousserait presque à la réévaluation de certains films de casse autrefois dépréciés. Seule qualité, futile et illusoire, dépressive même, d'un film mort-vivant lancé sur pilote automatique et d'un système globalisé de productions standardisées.