Dernier film en date du réalisateur de l'excellentissime Prisoners avec Jake Gyllenhaal à nouveau en acteur principal, Enemy avait tout pour lui ressembler beaucoup, voire un peu trop. Surtout en étant réalisés tous deux à peu près au même moment. Néanmoins, tous les éléments étaient réunis pour qu'un très très bon thriller nous soit offert. Les premières images donnent raisons : une porte mystérieuse. Derrière, quelque chose qui ressemble à un rite sexuelle et sectuaire et puis une araignée. L'ambiance donnée par l'image tricolore marron/jaunâtre/noire et par une bande-son stressante est au rendez-vous. Je vais passer un bon moment.
Sauf qu'au bout d'une demi-heure, toujours rien, mis à part un montage vraiment excellent et parfois surprenant, en raccord parfait avec la musique : là, Villeneuve a fait fort. Sinon, on contemple le quotidien ennuyeux d'un prof d'histoire dépressif qui ne fait rien d'autre que corriger des copies, "baiser" une femme qui ne l'aime pas (et qu'il n'aime sans doute pas en retour) et répéter toujours la même chose à ses élèves qui doivent être au moins autant blasés que lui, étant donné la passion qu'il semble avoir pour ce qu'il raconte.
Viens alors l'événement perturbateur, qui est très problématique : un de ses collègues lui conseille un film. Il voit son sosie dedans. Il devient fou et doit le retrouver... Ceci n'a aucun sens, sinon je serrais depuis quelques temps déjà en train de harceler Gunther Love pour comprendre pourquoi une photo de lui publiée dans un magazine populaire semble plus être une photo de moi que de ce, ô combien grandissime, joueur de air-guitare.
Le film se résume là-dedans, une grande part de ma déception aussi. Ajoutez à cela l'échec total dans la volonté de créer une tension, l'échec total dans la tentative refnienne de faire de la lenteur et de l'absence d'action une obsession pour le spectateur, ainsi que l'échec partiel dans la tentative lynchienne de créer des énigmes sans jamais donner de réponses mais juste quelques clés imperceptible, vous obtiendrez un film qui n'est pas maîtrisé au-delà de sa jolie image et de... de son... de sa jolie image.
J'ai pourtant lu à plusieurs endroits que derrière ce film se cachait une intelligence diable et qu'il fallait simplement la trouver. Là où il est intelligent, c'est que c'est un film qui marque le spectateur a posteriori : Enemy n'est pas un film que l'on oublie si rapidement, mais parce qu'il est mauvais. Plutôt parce qu'il a une âme étrange. C'est d'ailleurs là où la note que je lui ai attribué à ses limites : je ne sais même pas si j'ai détesté ou bien aimé ce film au final. Ce dont je suis sûr, c'est de mon immense déception lorsque le générique est apparu. Déception quelque peu atténuée par la dernière image quand même.
Là où Enemy n'est pas intelligent, c'est dans sa conception même qui se veut incompréhensible, car il se veut le reflet du subconscient de Denis Villeneuve. Les films abscons, on connaît : Donnie Darko ou Mulholland Drive sont ceux qui ressemblent le plus à Enemy. Pourtant ces films sont bons, car même très difficiles à saisir, ils ont un quelque chose qui marque pendant le film, des scènes inoubliables, des questionnements qui trouvent des réponses - peut-être fausses, et alors ? - et qui rendent le spectateur actif et intéressé, ce que ce film ne fait pas. On arrive à la dernière image et on se demande encore ce qu'à bien voulu faire Villeneuve dans son film. Du coup je me suis posé beaucoup de questions dans la nuit et au-délà. Histoire d'essayer d'aimer ce film que j'avais vraiment envie d'aimer malgré l'ennui ressenti pendant la séance. Seulement, peu importe les pistes, rien ne colle complètement avec ce qu'il se passe à l'écran.
Je vous propose deux voies de réponse en bonus de la critique. Il ne faut pas les voir comme les seules qui existent bien sûr, car mon esprit est loin d'être exhaustif et d'être capable de tout analyser.
Déjà, il y a un socle commun aux deux tentatives d'explications : Adam et Anthony ne sont qu'une seule et même personne. La preuve est leur rencontre à l’hôtel et un simple reflet dans la protection en verre d'un tableau. Là où était Adam est alors un endroit vide.
Soit, celui qu'on nommera Monsieur A est un homme infidèle. Lors de la rencontre avec la mère, elle lui dit qu'il est infidèle et lors d'une engueulade avec sa femme, elle lui fait des reproches sur une femme qu'il semble avoir fréquenté dans le passé. Cela colle d'ailleurs avec l'avancement de l'histoire, d'abord on nous présente la partie infidèle de Monsieur A : Adam (Bah bravo le blasphème Denis !) qui couche avec une femme qui ne dort jamais avec lui, puis l'histoire de celui qui ne couche plus qu'avec sa femme : Anthony. Représentée par une araignée velue lors de la dernière scène, on peut imaginer sa femme comme trop envahissante avec ses huit pattes pour bien le garder contre elle et ne pas le laisser partir. Tout cela est plausible JUSQU'A une des toutes dernières scènes. La partie fidèle de Monsieur A a eu un accident de voiture, elle est "morte". Il ne reste plus que la partie infidèle qui laisse sa femme se blottir contre lui. Effectivement, celle-ci l'appelle "prof d'histoire". Donc soit elle est heureuse d'être aux côtés d'un infidèle, soit Adam, le professeur d'histoire donc, est la partie fidèle et c'est la partie infidèle de Monsieur A qui est morte. Ce qui collerait finalement bien puisque vers la fin, c'est Anthony qui couche avec sa maîtresse et non pas Adam. Mais alors pourquoi est-ce que c'est Adam qui couche avec elle dans la première demi-heure du film ? Il est fidèle mais c'est lui qu'on nous montre, explicitement, être avec sa maîtresse ? Et même à la fin, autre preuve d'infidélité de la part d'Adam (censée être la seule partie de Monsieur A encore en vie) : il annonce à sa femme qu'il va s'absenter pour aller voir une stripteaseuse se masturber dans un club (la scène du début qui n'est finalement pas du tout un rite). Dernière preuve que c'est bien Adam l'infidèle : il a une photo déchirée de lui au début du film qu'il retrouve chez Anthony, non déchirée et avec sa femme avec lui sur la photo. De tout cela je tire deux possibilités : soit ce film ne parle pas d'infidélité (pourtant le symbolisme de l'araignée et les métaphores ne sont utilisées que pour cela), soit Villeneuve s'y est pris comme un manche. D'ailleurs, pourquoi ce film parlerait-il d'infidélité quand on voit la scène où la femme de Monsieur A va rencontrer la partie Adam à son université et que ce dernier ne la reconnaît pas ? Elle même ne semble pas savoir où aller, elle ne connaît pas cet endroit. Et puis pourquoi Monsieur A ne serait-il pas allé depuis six mois à son agence de modèle, quel est le rapport avec l'infidélité ? Ces deux scènes n'ont strictement aucun sens pour cette histoire. Et c'est d'ailleurs elles qui m'amènent a une deuxième explication possible :
Monsieur A est tout simplement schizophrène. Mais du style bien attaqué : quand l'un de ses personnages existe, l'autre n'existe pas. Il mène une double-vie sans même s'en rendre compte. Il a donc vraiment deux appartements, celui d'Adam étant rendu plausible par l'appel de sa mère qui le remercie de l'avoir visité. Et puis, le film, avançant, on découvre un Monsieur A qui commence à se rendre compte qu'il est malade. C'est cela qui le rend fou. C'est cela qui l'obsède. Les comportements des gens qu'il fréquente rendent ceci plausible car ils semblent savoir qu'il est malade. Sa femme quand elle lui dit "qu'il sait" ce qu'est cette deuxième personne qui lui ressemble tant ou bien sa mère qui lui explique que ce présupposé "double" ne peut pas exister, qu'il ne peut pas être fou : on voit ici la mère qui s'inquiète pour son fils et qui souhaite le protéger. D'ailleurs elle lui dit clairement qu'elle s'inquiète et qu'elle ne comprend pas comment il peut vivre comme ça. La schizophrénie explique de manière plutôt bonne l'histoire (bien plus que l'infidélité qui ne serait qu'une métaphore du début à la fin et donc un film totalement vide car ne montrant aucun fait réel) et rend compréhensibles les deux scènes qui ne l'étaient pas plus haut. Chouette me dis-je ! Cette histoire a un sens en fait, ce qui est montré vaut quelque chose, ce n'est pas du vent. Pourtant, il y a un hic. Un seul cette fois-ci. L'araignée. Si elle collait parfaitement à l'infidélité (surtout le plan de coupe génial avec l'araignée géante qui marche sur la ville quand la partie Anthony va coucher pour la première fois avec la maîtresse), elle n'a strictement (mais alors strictement) aucun sens dans cette histoire de schizophrénie. Or, étant le seul véritable symbole utilisé pendant tout le film, il ne peut pas être mis de côté comme ça, il doit être principal. Monsieur A n'est pas schizophrène. Ou alors il y a quelque chose dans le symbole de l'araignée qui m'échappe et qui m'interdit, en plus de ne pas avoir aimé le film pendant le visionnage, de l'aimer a posteriori.
EDIT : une explication vraiment intéressante mêle ces deux explications, en adoptant un point de vu un peu différent sur ce que représentent les deux personnages de Monsieur A par rapport à la fidélité se trouve ici : https://www.youtube.com/watch?v=v9AWkqRwd1I