Et ils acceptèrent de s'ennuyer
Quelle merveille, ce film de vampire qui n'en est pas un ! Un prétexte, voilà tout ce que sont ces créatures. Un prétexte pour parler du sujet que Jim Jarmush a toujours traité avec brio : l'ennui. Quoi de mieux qu'un immortel reclus pour parler de l'ennui, pour le pousser à son paroxysme ?
C'est avec virtuosité que l'on est plongé dans le quotidien nocturne, l'errance infinie de ces monstres qui n'en sont pas ; ils sont si proches de l'humain. Tout dans ce film a pour but de nous immerger totalement, jusqu'à ne plus pouvoir cligner des yeux, tout tente de représenter l'infini, leur infini : le mouvement circulaire de la caméra dans les premières minutes, la musique, leur quotidien...
Les pauvres, se dit-on, pauvres âmes errantes et prisonnières ! Et pourtant, tout cela, tout cet infini, ils l'acceptent. Ils l'acceptent car, étant bien plus proches de l'Homme que du monstre, ils pensent comme lui : "Plutôt souffrir que mourir, C'est la devise des hommes." écrivait La Fontaine. Souffrir de l'ennui, les vampires de ce chef-d'oeuvre l'acceptent. Car lorsqu'enfin ils peuvent mettre fin à cela, assoiffés, eux les tristes, ils préfèrent tuer deux amoureux jeunes et heureux.
Pourquoi ? Il n'y a qu'à se rappeler des scènes où ils buvaient le sang. Il n'y a qu'à se rappeler de la jouissance présente sur leurs visages à ces moments là, de la félicité qu'ils parvenaient à atteindre. C'est de cette façon que Jim Jarmush apporte sa réponse à la question "pourquoi vivre si l'on s'ennuie tant de la vie ?". Pour ces moments là où le bonheur est inégalable. Et nous, comme ces vampires, nous sommes des junkies, capables des choses les plus absurdes, voire les plus horribles pour profiter des quelques instants de bonheur suprême qu'il est possible de trouver sur Terre.