"Apocalypse Now"... On pense ce titre fait pour chaque scène. Et à chaque scène suivante, on remarque que l'on s'est trompé, que l'apocalypse n'était pas encore arrivé au moment où on l'a pensé, mais que ça y est, on y est enfin. Et ce jusqu'à la fin, jusqu'à ce que le noir abandonne les quelques lumières orangées à subsister pour devenir absolu, sans nom, sans métier, sans rien. Tout est fait pour que ce film n'en soit pas un. Tout est fait pour que ce ne soit pas un film sur le Viêt Nam mais que ce soit le Viêt Nam comme nous l'enseigne si justement Coppola.
Mais est-ce pour autant un documentaire, ou au moins une oeuvre historique sur cette guerre atroce ? Non, bien sûr que non. Cette jungle, ce fleuve remonté au milieu de l'horreur, ils n'existent pas. Ils ne peuvent pas exister. Ce sont des images vouées à toucher nos sens pour que, sans s'en rendre compte, on vive le Viêt Nam. Son horreur, certes. Mais surtout, son absurdité que l'on retrouve tout le long à travers les personnages, à travers l'onirisme évoqué par une simple fumée rose ou par un tigre, à travers le fleuve qui nous emmène vers une atrocité démesurée et insensée, à travers une finalité païenne inattendue mais terriblement logique dans cette ascension vers l'absence de civilisation moderne si violente. Car ce peuple rencontré à la fin jamais ne fera preuve de violence. Le seul à perturber l'harmonie locale est l'américain, le colonel Kurtz, dernier vestige de la violence sanguinaire et gratuite.
A travers une métaphore sur la guerre du Viêt Nam absolument parfaite, un road trip fluviale sans fausse note ni fioriture, Coppola signe un chef-d'oeuvre absolu qui questionne le sens de la civilisation hypertechnicisée actuelle et de la folie, souvent destructrice, qui en est l'un des résultats les plus atroces.