Laissez le rêver sur le chant des mitraillettes !

Sur le plan strictement formel, on ne peut s'empêcher de penser à la pureté ésthétique de La Valse avec Bachir de Folman -avec une image dessinée- lors de la scène d'ouverture du film (même violence, même nécéssité de beauté pictural pour la transcender). Grâce à cette ouverture magnifique, on sait qu'une scène de pure violence -une mare de sang se répand sur le trottoir et des coups de feu jaillissent dans tous les sens- peut être une scène sublime, transcendante, grâce à une pureté esthétique. Au niveau du cadrage, on recherche la subjectivité, le regard : la caméra suit les mouvement des personnages, prolonge la sensation et l'émotion. Mais c'est surtout le zoom et le ralenti -dilatation temporelle n'est t-il pas ce qu'il y a de plus humain- , et le passage à une esthétique de bande-déssiné qui permet à l'image de "creuver l'écran". On reste scotché devant la qualité artistique : c'est indéniable, Enfance Clandestine témoigne de la bonne santé du cinéma argentin (dernier en date pour moi était El secreto de sus ojos). Pour le coup, je commence à apprecier la production artisitique argentine tous genre confondus, en littérature comme en cinéma. Voilà pour la forme. C'est aussi le choix du point de vue subjectif et par n'importe lequel, celui de Juan, enfant de 11ans, fils d'un guerillero argentin, qui permet d'éclairer une période politique d'une façon innovante.

Juan a 11ans et est argentin, et sous la dictature des années 1970, ses parents, des guerilleros exilée à Cuba, décide de revenir au pays pour continuer leur lutte socialiste-révolutionnaire. Son père dirige le groupe révolutionnaire des Montoneros, et organise des "coups" (dans le salon de leur nouvelle maison ou Juan ordinairement se promène, mais pendant la réunion il écoute derrière la porte de sa chambre). Imbibé de ces discours politique, Juan, sans vraiment comprendre de quoi il s'agit, répond à l'appel des membres de la cellule. Il se sent héros de la nation argentine, lui aussi. Ne doit-on pas voir dans les yeux de Juan l'illusion de croire que toute cette organisation n'est qu'un jeu ? On peut penser à La Vie est Belle ou l'horreur de la réalité est transformé en un jeu ludique : son oncle ne lui dit-il pas qu'il faut qu'il se déguise, comme le Che, et ce jeu de rôle colore la réalité -sombre- d'un vernis fantaisiste et ludique : se faire passer pour quelqu'un d'autre, il y a de quoi s'amuser. Sauf, que là, ce n'est pas une scenette rigolote et définie dans le temps, mais c'est la vie quoi, la vrai, et ce rôle il va devoir l'endosser continuellement... Ce rôle, c'est de s'appeler Ernesto, et de nier sa propre identité, son moi.
A l'évidence, ce climat familial pèse sur ses épaules, et on peut alors se demander : est-ce encore un enfant ? Comment continuer à vivre dans un monde sans problèmes et sans craintes, -celui de l'enfance- lorsque maman et papa peuvent dégainer un flingue à n'importe qu'elle seconde, de nuit comme de jour, en cas de déscente militaire ? Lorsqu'on doit, en cas d'alerte, aller planquer sa petite soeur de 6mois dan la ménagerie, muni d'une arme, au cas où. Lorsque tous ses proches semblent disparaître les uns après les autres ? C'est ce cauchemar qui hante le petit Juan, et pourtant, malgrès ce climat constant de tension et de danger dans sa cellule familial, il va réussir à continuer à vivre : comment ? Grâce à l'amour. Bon ok, ça peut paraître simpliste et facile de prime abord, mais pas du tout, car l'amour n'est pas caricatural et garde une place secondaire dans le film. Dans cette passion de Juan, où enfin il se sent être un parmis les autres, et par laquelle il oubli que le soir, chez lui, l'attend ceci et cela. Mais le problème, c'est que Juan, qui entre en cm2, s'appelera désormais Ernesto, et devra cacher tout ce qu'il voit chez lui -la fameuse identité clandestine, d'où le titre du film.
Ainsi, toujours entre deux eaux, celle des adultes dans laquelle il baigne, étrange et dangereuse, et celle de l'enfance à laquelle il aimerait gouter, joyeuse, naïve et douce, mais de laquelle il est séparé par le voile de son identité clandestine...
Ce déchirement quotidien, ajouté aux désastre provoqué par la répression de l'Etat envers ses parents, va mener à la perte de son innocence, à la désillusion précoce face à un monde en putréfaction. Balzac disait qu'à 20ans, un homme contemple le monde, les yeux pleins d'illusions et de projets, ici, le désespoir d'un gosse de 11ans face à l'ignominie de l'humain entame son règne. Une flamme continue de briller, cette fille, si pure, car si différente de lui, comme souillé par la vue de tout ce sang.


C'est beau et tragique, et les acteurs sont tous géniaux (même les gamins de cm2 !)
Mansfield
9
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le 18 mai 2013

Modifiée

le 18 mai 2013

Critique lue 680 fois

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Mansfield

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