Le cinéma de Dupontel est un univers régi par ses propres codes. Qui connaît le réalisateur depuis ses débuts sait donc à quoi s’attendre, et retrouvera avec plaisir de nouvelles variations sur des thématiques obsessionnelles, permettant de fustiger l’ordre établi (la police, les patrons et la bourgeoisie bien-pensante), de donner les coudées franches aux déclassés, le tout dans une forme poétique et naïve proche du conte – un peu trash, forcément.
Fan revendiqué de Charlot, Dupontel crée souvent des personnages à la marge, qui, par leur candeur, poétisent le monde dans une violence cathartique. Dans cette intrigue mettant une nouvelle fois en scène la question de l’enfance et du lien parental (une obsession chez Dupontel, de Bernie à Adieu les cons, en passant par 9 mois ferme), le travestissement (un SDF s’improvisant policier) et les malentendus s’accumulent avant de converger vers des coïncidences fracassantes que seule la fiction peut permettre. Cet acharnement à croire et à donner du crédit à l’imaginaire reste omniprésent : d’abord dans les séquences d’hallucinations dues à la colle sniffée, qui permettent tous les délires visuels possibles (des panneaux publicitaires qui prennent vie, une capacité à gérer la circulation aérienne en arrêtant les nuages pour donner la priorité aux oiseaux, dans une scène qui semble convoquer l’esthétique de Tati), puis dans le personnage de cette mère qui fera tout pour chanter sa berceuse à sa fille, quitte à faire de la ville entière son auditoire. Le reste de l’intrigue accroît le goût du réalisateur pour le slapstick, permettant de conjuguer le fracas et la gestuelle la plus comique : chutes, sauts, coups de parpaings, projectiles multiples, équilibre dangereux et cloisons fracassées sont le lot commun d’une quête menée tambour battant, et dans laquelle le monde des marginaux (bien consolidé par des membres de la troupe des Deschiens) tient une forme de revanche sur son invisibilité imposée.
Dupontel met toujours en scène une salvation par la fuite en avant : le risque pris par un homme à endosser l’identité d’un autre paiera, toute la saveur consiste à voir la manière dont s’ébauchent les mensonges, notamment dans cette construction d’un commissariat fictif tenu par des clodos, avant la victoire utopique d’une société parallèle où l’on imagine une crèche zadiste et une reconversion d’un grand patron vers des idéaux altermondialistes.
Dix ans après Bernie, la tendresse prend davantage de place, et son dénouement qui voit se dessiner un couple bancal dans les décombres d’une intrigue joyeusement dévastatrice cite explicitement celui des Temps Modernes : une synthèse entre ses modèles et le cinéma vers lequel il tend désormais.
(6.5/10)