À chaque fois que je regarde un film, j’éprouve un respect infini pour les personnes qui ont travaillé dessus. C’est cette même raison qui fait que je regarde toujours le générique de fin jusqu’au bout, même si je ne retiens jamais plus de 1% des noms qui défilent à l’écran. Faire du cinéma reste bien souvent un rêve, c’est une passion qu’il est difficile d’assouvir. C’est une passion qu’il faut souvent travestir, prostituer lorsqu’on désire vivre de la création. Après tout, travailler dans le cinéma, ce n’est pas toujours travailler sur le film de ses rêves.
Mais ça, il y en a qui s’en balancent. Il y en a, des fous, des irréductibles qui avec trois bouts de pellicule et deux ampoules vont travailler d’arrache-pied, sortir des films monstrueux, innovants, renversants, qui vont expérimenter jusqu’au bout, pour enfin s’exprimer, parler, et laisser libre court à leur art. Ils s’appellent Sogo Ishii et ils vont réaliser Crazy Thunder Road. Ils s’appellent Juraj Jakubisko et ils vont réaliser Les Oiseaux, les Orphelins et les Fous. Ils s’appellent Werner Herzog et ils vont réaliser Aguirre. Et dès fois, ils s’appellent Ben Wheatley.
Lui non plus, il n’en a pas grand-chose à faire. D’ailleurs, malgré une réputation naissante, son film A Field in England a fait un bide dans nos contrées, la faute en partie à une traduction de titre bien peu inspirée. Pourtant, celui-ci n’est on ne peut plus explicite. On découvre en effet dans ce long-métrage l’histoire de déserteurs qui vont décider d’aller boire un coup dans une taverne, avant de se retrouver à manger des champignons hallucinogènes, jusqu’à finir prisonnier d’un vil alchimiste qui les obligera à chercher un trésor pour lui. Le tout… Dans un simple champ d’herbes hautes balayées par le vent.
Ne le cachons pas plus longtemps, l’écriture est relativement faible. Si quelques gags feront mouche, les situations scatophiles feront grincer des dents la plupart des spectateurs. Pour le reste de l’histoire, c’est tout simplement… incompréhensible. Les personnages sont difficilement reconnaissables (surtout dans la première moitié), leurs rôles ne sont pas toujours clairement définis. L’histoire avance d’un pas, fait une roulade en arrière, sautille sur place et fait un bond de trois mètres en avant. Bref, la narration n’est pas claire du tout.
Et alors ? Il est très clair à la vision du film que Wheatley s’en cogne un peu. La seule chose qui semble l’intéresser est de mettre en scène des situations absurdes et absconses. Et sur ce niveau-là, le film est une réussite.
Plus minimaliste encore que le scénario, le décor va se transformer en un champ de jeu derrière la caméra de Wheatley. Servie par une photographie en noir et blanc époustouflante, la mise en scène est à la fois rythmée et élégante, se renouvelant sans cesse et expérimentant à tout va. Avec tous les ralentis, les fameux plans-tableaux où tous les acteurs (qui se comptent sur les doigts d’une paire de mains) cessent de bouger et prennent la pose ou encore ces abruptes coupures au noir, on en prend plein les yeux. Et je n’oserai même pas parler de la séance du bad trip, totalement grisante et fascinante.
A Field in England est un OVNI, ni plus ni moins. Sorti de nulle part, n’allant nulle part, il ne régalera que les plus fous. Et pourtant, un magnétisme authentique semble s’échapper de la pellicule. Impossible de décrocher de l’histoire de ces déserteurs, qui semblent sortis de l’imagination de l’enfant bâtard de Stanley Kubrick et Terry Gilliam. Et de toute façon, le film a divisé, divise et divisera encore. Mais au fond, je suis certain que Ben Wheatley, lui, jubile d’avoir réussi son coup, et sorti un film absolument unique et sans pareil.