Herzog s’est depuis de nombreuses années tourné vers le documentaire : il semble avoir pris la mesure de la puissance romanesque du réel, comme en témoigne entre autre du phénoménal Grizzly Man.
C’est évidemment de par sa propre existence qu’il a tiré ce constat. Pour qui s’intéresse un peu au cinéma, et par conséquent au sien, on apprend très vite que la fureur l’habite autant devant que derrière la caméra, et que le tandem qu’il forma avec Klaus Kinski fut aussi épique que destructeur.
Ennemis intimes se propose de revenir sur cette relation, avec ceci de subjectif qu’un des protagonistes entreprend de raconter les événements. C’est là limite fertile du projet. Herzog, malin, assume son parti pris et reconnait avoir lui aussi mené la vie dure à son comédien fétiche, voire jubilé de ses crises dantesques.
Le film vaut autant pour l’originalité de son sujet (la visite à des bourgeois installés dans l’ancien appartement de bohème des deux comparses est aussi surprenante que délicieuse) que pour les nombreuses anecdotes qu’il contient, assorties d’extraits de making of ou archives diverses : on verra ainsi Kinski totalement possédé (notamment dans une tournée théâtrale hallucinante, en ouverture du film), on découvrira que certaines séquences de violence d’Aguirre sont tout sauf feintes, et que les menaces de mort étaient monnaie courante.
Dans ce jeu malade ou chacun accuse l’autre de la folie qu’il ressent lui-même, on sent un tandem soudé et prêt à tout pour exploiter ces braises à l’écran. Herzog, qui focalise le sujet sur le comédien, questionne aussi l’aura d’une star, décape ses poses et analyse son besoin pathologique d’attirer les regards, ne supportant pas que l’attention soit déplacée ailleurs que sur lui.
Ennemis intimes est aussi un adieu et un hommage : au comédien décédé, et à sa dernière séquence avec lui, qui fut la noyade finale de Cobra Verde : si Herzog tire la couverture à lui en affirmant que Kinski avait tout donné à son cinéma et ne fut que cendres par la suite, c’est aussi une façon d’expliquer le tarissement explosif de sa propre œuvre.
Documentaire subjectif, Ennemis intimes vaut donc autant pour sa contribution à la légende que pour les réflexions qu’elle engendre : ou comment la fascination maladive pour l’excès entraîna une œuvre incandescente, dont on comprend un peu mieux la fiévreuse vibration qui l’habite aujourd’hui encore.