"Comment comptes-tu me tuer ?". Telle est la mise en bouche que propose Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon. Où habituellement, quand meurtre est le point de départ d'une histoire, son auteur tente de se dérober à la police, ici c'est tout l'inverse et toute l'originalité du film d'Elio Petri. Il faudra un bon quart d'heure au spectateur pour intégrer cet assassinat réalisé à l'amiable entre victime et bourreau qui tient plus de la farce tel qu'il est raconté. Ce tueur qui laisse ses empreintes partout, pour livrer des indices à la Police, nous fait douter de ce film à la réputation flatteuse.
Mais bien vite, dès que notre assassin au sang froid daigne nous faire comprendre son importance sociale, le puzzle se met en place. Elio Petri nous en fait saisir l'ensemble à l'aide de flashbacks bien sentis. On comprend alors la nature de la relation qui unissait les deux partis de la mise en scène initiale, faite de jeux de rôles meurtriers et d'un rapport de soumission particulièrement ambigu. Bien entendu, la maîtrise dont Elio Petri fait preuve pour caractériser ce couple peu banal ne sert que le propos central de son film, à savoir une critique acerbe des institutions policières.
Le cinéaste transalpin n'y va pas par quatre chemin et ne verse jamais dans le compromis. Dans ce corps policier, nul n'est intègre, chacun verse dans la corruption ou dans l'incompétence notoire. Le propos est sans équivoque et sacrément osé. Cette fougue dans l'écriture méritait bien tout le talent de Gian Maria Volontè pour que le message ne souffre d'aucune estompe. Ce personnage dont le rang social semble le mettre à l'abri de tout soupçon de la part de ses pairs va malmener chaque homme composant le corps dont il fait partie. De son ancien patron aux policiers sous ses ordres, qui font tout pour nier l'évidence qui pourrait les mettre à la porte, ils se casseront tous les dents contre les grands airs et la vivacité d'esprit de ce commissaire fraîchement promu.
Car Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon tire son essence avant tout de ce personnage qui, au fur et à mesure que l'histoire se déroule, nous paraît de moins en moins équilibré mentalement. On finit même le film peiné par son état, qui l'isole du reste du monde, de ce système corrompu qu'il souhaite dénoncer mais aussi de chaque personne, y compris bien intentionnée (ce pauvre plombier), qu'il croise sur son chemin. C'est finalement là où Elio Petri fait preuve d'intelligence. Son personnage, celui qui véhicule sa critique n'est pas aussi fiable qu'on pouvait le penser. Du coup se pose la question du point de vue : cette nuance faussement absente de la bobine est-elle incarnée par le manque d'objectivité de celui qui véhicule le message.
Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon est un sacré film. Elio Petri y prouve sa science de l'image à travers une réalisation enlevée (quelle science du cadre) et une direction d'acteurs que l'on devine implacable. Mais c'est surtout sa facilité à esquisser des personnages très caractérisés qui force le respect. Pour preuve, il ne lui suffit que d'un seul pour à la fois véhiculer l'acidité extrême de sa satire sociale mais également la remettre en question dans le même temps. Glaçant.