Après s’être penché sur les liens entre grand banditisme et militantisme indépendantiste en Corse dans Une vie violente, Thierry de Peretti investit d’autres coulisses troubles de l’histoire. Son nouveau film suit l’enquête d’un journaliste de Libération contacté par une source lui dévoilant les méthodes très discutables mises en place par le chef des stups français dans sa lutte contre le trafic de drogue.
Le sujet, comme le précédent, appelle à une codification et un genre qui, à nouveau, ne seront pas véritablement convoqués. Ici, point de thriller, de mise en danger, de rebondissements ou de paliers dans la révélation : après une très belle ouverture jouant sur les silences et un lent déplacement du cadre pour révéler la mystérieuse activité d’un personnage opaque, la séquence qui suit expose sans détours tenants et aboutissants d’une telle affaire.
La mise en scène de Peretti affirme très nettement ces partis-pris : resserrée sur un cadre 1.33, elle s’attache à suivre des protagonistes et explorer la zone réduite dans laquelle ils évoluent : l’un dans sa manière de livrer la vérité au compte-goutte, l’autre dans sa façon de l’exploiter par à-coups. On retrouve ici bien des éléments qui composaient Une vie violente, pour assécher le potentiel lyrique ou romanesque du sujet. De Peretti privilégie un traitement documentaire, joue d’irrégularités rythmiques singulières, s’attardant sur des instants de vie secondaires (ces trop longues scène de repas ou de boite de nuit, les réunions de rédaction à Libé) tout en tranchant d’ellipses certains passages clés.
Car le véritable sujet est là : faire ressentir au spectateur l’impossible accès à une vérité pleinement lisible. Le titre renvoie ainsi à l’article du journal bien plus qu’à son propre contenu, et on insiste régulièrement sur la manière dont le journaliste (Pio Marmaï, impeccable dans cette figure acharnée et presque avide d’une vérité qui ferait vaciller la République) travaille la matière pour la rendre publiable, jusqu’à l’écriture de son livre. Face à lui, Roschdy Zem compose une source encore plus opaque, dans un excellente partition mêlant puissance et immaturité, les passions les plus triviales (appât du gain, désir de gloire et vengeance personnelle) venant ternir la supposée noblesse de sa démarche.
L’explication didactique du principal incriminé (Vincent Lindon) pour justifier de ses méthodes n’est pas moins intéressante : elle ajoute au binôme un troisième pôle dans lequel on peut comprendre cette logique d’une fin qui justifierait les moyens, et de la façon dont un individu n’est toujours que le rouage d’un système.
La logique déceptive de ce terrain miné est donc largement réfléchie et assumée par le cinéaste. Reste qu’elle ne fonctionne pas toujours, et que l’on peut s’interroger sur cette méthode consistant à mélanger le politique et l’intime, le narratif (quelques séquences, surtout au début, jouant de la tension par des montages alternés ou une musique pesante) et le documentaire. La répétition des motifs, l’étirement inutile de certaines séquences et l’absence de progression nourrissent certes une lecture naturaliste et frustrante du réel. Mais elles peinent à réellement émouvoir, et passent le relai à une mise en scène qui peut s’avérer assez ostentatoire, à l’image de ce plan-séquence lors du procès final. Alors que les comédiens excellent bien plus par la tenue de leur jeu que par leur propos, déjà largement formulé au préalable, les mouvements d’appareil semblent errer un peu au hasard, conscients que la longueur ne sera pas mise en valeur par un plan fixe. On panote alors sur le parti adverse en train d’écouter, puis sur la juge, avant de revenir au monologue du témoin à la barre, sans qu’on comprenne véritablement ce qui motive cette savante chorégraphie qui semble surtout performative. Comme si, à l’image de son personnage de journaliste parfois tenté de considérer son confident comme un « sujet », de Peretti exploitait cette matière narrative dans le seul but d’y danser ses pas de côté.