Je savais que je ne venais que pour la bande annonce, entraperçue un ou deux mois plus tôt et qui m’avait intriguée (et parce que j’ai un abonnement ciné à rentabiliser). Je me disais qu’une production Amazon, avec un Russel Crowe probablement prêt à accepter n’importe quel rôle serait médiocre, sinon calamiteux (à noter que la seconde option est préférable). Et pourtant, croyez-le ou non : ce n'est franchement pas si mal.
Une introduction anxiogène somme toute assez classique, mais plutôt efficace, à base de commentaires journalistiques et autres constats sociologico-politico-café du commerce sur « comment notre société (américaine) est devenue égoïste, violente, inégalitaire, etc. » et « comment cela se reflète dans nos interactions sur la route ».
Passé ce générique introductif (précédé d’une scène d’ouverture glaçante ou Russel Crowe nous montre d’emblée qu’il n’est pas là pour rigoler en tuant deux personnes et brûlant leur maison), l’essentiel de l’action se déroulant en voiture, on reste à l’affût de la faute d’inattention, de l’accrochage, de l’accident... et ce, avec un petit effet supplémentaire pour moi, étant cycliste et ayant ces angoisses au quotidien.
Russel Crowe nous ayant déjà été montré comme un meurtrier psychopathe, lorsqu’il refait apparition, on sait que rien ne l’arrêtera : ni la foule, ni les caméras, ni la circulation. Nos protagonistes espèreront vainement pouvoir chercher de l’aide, pour être démenti.es à chaque fois. Au final, dans cette immense ville, sur ces routes encombrées, iels seront seul.es. La tension est bien amenée et soigneusement maintenue tout au long du film, dont l’action - une fois passée une exposition concise des protagonistes (avec un nombre assez impressionnant de fusils de Tchekhov, amorcés l’air de rien) - ne s’arrête jamais, les quelques relatives accalmies étant systématiquement des trompe-l’œil. Ajoutez à cela des courses-poursuites réussites, des acteur.ices convaincant.es et des personnages (pour une fois) aux réactions crédibles et intelligentes, le film se laisse regarder sans déplaisir.
Malheureusement, c’est dans son propos qu’il devient décevant. En effet, passé un furtif détour sur la masculinité toxique (on apprend que l’ami Russel est parti en vrille sur une histoire de divorce), le cœur du propos est que l’agressivité des individus en général (et sur la route en particulier, point central de l’existence de beaucoup puisqu’une part importante de leur vie dépend de leur capacité à se déplacer plus ou moins aisément d’un point A à un point B) est due au stress engendré par des conditions de vie difficiles que les inégalités sociales ne font qu’accentuer. Ainsi, dans un contexte globalement anxiogène, le moindre accrochage avec autrui peut facilement déraper et se solder par une violente confrontation. Si ce constat n’est ni original, ni particulièrement subtil, force est de constater qu’en choisissant de concentrer le récit sur une journée (avec des enjeux initiaux assez triviaux pour l’héroïne, à savoir : gérer son planning et les imprévus du quotidien) et en choisissant la circulation automobile comme lieu d’action principal, le film porte efficacement son message sans forcer le trait. Hélas, à deux reprises au moins celui-ci se tire une balle dans le pied avec le fils de l’héroïne qui fait la leçon à cette dernière en laissant entendre qu’au final, elle est la seule responsable de l’agressivité d’autrui qu’elle « provoque », ainsi que de ses retards, puisqu’elle n’a qu’à se lever plus tôt.
(Alors, cher Bobby : maman dort sur le canapé parce que ton oncle fauché et sa compagne vivent avec vous, elle a la charge mentale d’un foyer de 4 personnes, a perdu son boulot, gère le divorce avec ton père qui veut faire tourner l’affaire en bataille judiciaire... donc non, quand elle te dit qu’il y a trop de bagnoles et que c’est un vrai problème urbanistique qui affecte négativement la vie de millions d’Étatsuniens, il ne suffit PAS de se lever plus tôt. Bordel. Retourne jouer à Fortnite sur ta tablette, kikoo à la noix.)
On peut passer outre la conclusion du film, qui responsabilise entièrement les individus pour des problèmes systémiques, et l’apprécier pour le thriller bien fichu qu’il reste malgré tout, mais ce genre de contradiction (ou de sous-texte vicieux) reste décevant.