Coïncidence ?
Pour tomber sur Enter Nowhere au détour d'un site de streaming ou d'un bac DVD anglo-saxon, il faut avoir le GPS en berne et se perdre pour de bon, ou aimer les raccourcis-qu'on-ne-trouve-jamais et les cartes qu'on lit à l'envers. Car pour apprécier ce petit détour hors-piste, sans doute vaut-il mieux n'avoir ni destination programmée, ni d'inclination pour les tour operator.
C'est même ce qu'il y a de plus enthousiasmant, avec Enter Nowhere, ce temps qu'il prend pour nous balader avec son petit sourire en coin, sans jamais chercher à nous rassurer ni à nous ramener sur des voies intellectuellement plus praticables. ça, il en faut, de longues minutes, avant que le spectateur ne devine la route que le scénariste a pris le parti d'emprunter. Tantôt, il semble promettre de l'horreur stéréotypée, celle qui tâche et qui fait crier, avec sa cabane au fond du jardin, ses haches traînées dans les feuilles mortes et ses coups de feu tirés à l'aveugle. Tantôt, il semble vouloir suivre les sentiers plus sages, mais pas moins convenus, du survival psychologique, avec une petite touche de found footage à la troisième personne. Tantôt, il laisse entrevoir, peut-être-mais-c'est-pas-sûr, quelques futurs détours aux frontières du réel, qu'on espère autant qu'on redoute parce qu'on ne voudrait pas finir embourbé dans les marais du grand n'importe-quoi. Longtemps, très longtemps, le réalisateur s'amuse avec les plans, les séquences, l'éclairage, qu'il s'efforce de dompter avec le zèle d'un premier de la classe auquel il ne manque qu'un peu de bouteille, ouvrant fausses pistes après fausses pistes pour mieux ramener les esprits en roue libre à leur point de départ.
Et enfin, il choisit.
Enfin, il rassemble les pièces de son puzzle, pose ses panneaux indicateurs, dévoile la direction que ses protagonistes suivent malgré eux, et il n'est alors plus question de descendre du manège : on avait certes fini par anticiper les twists, les lacets et les demi-tours, à force de froncer des sourcils et de triturer nos méninges, mais on se surprend cependant à se réjouir de rebondissements aussi attendus qu'inattendus.
Le pourquoi du comment n'est pas aussi satisfaisant - car pas aussi complexe - qu'on pourrait le souhaiter à mi-parcours, mais il a le mérite de ne pas botter en touche et de boucler ses boucles, sans équivoque, dans un esprit très 90's qui n'est pas dénué de charmes.
Si le budget minimaliste de l'entreprise la dessert autant qu'elle sert son propos, ce qui manque véritablement à Enter Nowhere, c'est une folie d'auteur, une grandiloquence, un surjeu dans l'affect, l'intellect et le ressenti qui ne se contenterait pas de mettre l'histoire en (belles) images mais qui la transcenderait pour se l'approprier et en faire "autre chose" (à la façon d'un Jamin Winans, pour ne citer que lui).
Reste que s'il ne terrorisera personne (amateur de tripailles, passez votre chemin) et s'il ne révolutionne pas grand chose, son propos intriguant et son intrigue rondement menée (c'est le cas de l'écrire) sauront dépayser ceux qui sont las des pointes à 250 sur les grandes autoroutes du cinéma.